CFW : bonjour Isabelle, merci nous accueillir pour parler de AHR. Cette interview fera l’objet d’un reportage pour la e-Revue de la SNFCP.
Pour commencer, peux-tu nous présenter ton équipe, en tout cas l’équipe qui ici pratique l’anuscopie haute résolution ?
IE : au sein de notre équipe, qui est composée de 11 proctologues, tous gastro-entérologues formés à la proctologie chirurgicale, seuls 2 praticiens, Anne-Carole Lesage et moi-même, pratiquons l’anuscopie haute résolution (AHR) très régulièrement, toutes les semaines, puisque nous avons une consultation exclusivement réservée à l’AHR.
CFW : peux-tu peux nous dire quand vous avez commencé à pratiquer cet examen, et sur quelle impulsion ; qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y mettre ?
IE : l’idée de cet examen est venue après les premières publications sur l’intérêt de la cytologie anale et des AHR, notamment par les équipes de San Francisco au tout début des années 2000. Nous avons commencé à faire de la cytologie anale pour voir d’abord si c’était faisable, si ça avait un intérêt. Nous nous y sommes intéressées et avons publié. Après nous en sommes venues à pratiquer des AHR. En 2012 nous avons passé une semaine à San Francisco, dans l’équipe de Joël Palefsky, pour apprendre et voir un petit peu comment ils faisaient. Là on s’est perfectionné et on a confronté leur façon de faire et la nôtre.
CFW : chaque année combien réalisez-vous à peu près d’examens ?
IE : environ 750 par an, à peu près une quinzaine par semaine.
CFW : est-ce que tu peux nous dire à quel type de population vous proposez AHR ?
IE : il faut voir l’AHR dans une stratégie ; on ne peut développer AHR que si on a mis en place la cytologie et une histologie de qualité avec un anatomo-pathologiste tout à fait convaincu et entraîné. L’AHR n’est pas un examen de triage, elle est faite après une cytologie de dépistage. Cette stratégie globale vise à dépister des lésions de haut grade chez des patients à risque. Notamment des patients infectés par le VIH – en particulier les patients homosexuels masculins, mais aussi les femmes -, certaines populations immuno-déprimées dont les transplantés, les femmes qui ont des lésions vulvaires récidivantes.
Outre une politique de dépistage, l’AHR permet aussi le suivi de lésions dysplasiques déjà mises en évidence. Lésions de la néoplasie anale intra-épithéliale macroscopiques (type maladie de Bowen), ou microscopiques mises en évidence sur une pièce opératoire ou sur des biopsies orientées.
CFW : j’avais à l’esprit que la cytologie, donc le frottis, n’était pas prise en charge par la sécurité sociale. Comment faites-vous ?
IE : nous réalisons des frottis que nous cotons « frottis des muqueuses », qui a priori ont toujours été remboursés pour nos patients, à hauteur de 25 euros. Cela est réalisé comme une cytologie gynécologique, en phase liquide, avec un écouvillon en Dacron.
CFW : je crois qu’on a fini cette première partie d’interview, est-ce que tu veux bien qu’on t’accompagne jusqu’à la salle d’examen, pour une présentation du matériel ?
IE : avec plaisir ! On est ici dans cette salle qui nous sert pour l’AHR. Les patients se déshabillent dans la petite cabine et reviennent avec un short fenêtré, qui s’ouvre juste à l’arrière. Ils s’installent en position genu-pectorale. L’examen commence par un examen standard (inspection et toucher rectal) ; on peut mettre du lubrifiant hydrosoluble, qui ne gênera pas l’AHR. La pharmacie nous prépare des petits flacons unidoses, avec traçage répertorié pour chaque patient, d’acide acétique à 5% et de lugol à 2%. Au retrait de l’anuscope, sous contrôle de la vue, j’introduis ce coton avec l’acide acétique, que je vais laisser agir deux minutes, ce qui me laisse le temps de regarder sur l’ordinateur les anciennes photos du patient. Ensuite, je commence l’examen en retirant l’écouvillon. L’aide qui est avec moi – je pense que c’est primordial d’avoir une aide, on ne peut pas faire l’examen sans une aide infirmière – écarte la marge anale. Je commence par l’examen de la marge en appliquant de l’acide acétique et éventuellement du lugol, en faisant quelques photos et après je commence l’examen intra canalaire, en faisant des allers-retours avec la mise au point. Voilà notre colposcope. Je travaille souvent assise, Anne-Carole travaille plutôt debout. On peut l’orienter, et la mise au point se fait, sur des manettes. On a une sortie sur écran, ce qui permet à notre aide de vérifier, de voir ce que je fais. Cela nous permet aussi de faire de l’enseignement, et puis les photos sont stockées dans l’appareil. Bien sûr il faut voir toute la zone transitionnelle, On fait au minimum quatre photos, les quatre cadrans, pour vérifier que tout a bien été vu, que la zone transitionnelle a été bien vue. On stocke les photos sur le dossier informatique du patient, ce qui permet de les comparer d’une fois sur l’autre.
CFW : est-ce que tu varies le grossissement, ou il y a un grossissement spécifique ?
IE : les colposcopes qu’on utilise sont des colposcopes à mise au point progressive, et je pense qu’il faut utiliser ce genre de colposcopes pour L’AHR. Les gynécologues peuvent utiliser des colposcopes avec mise au point par cadrans, car ils se mettent au point sur un col qui est plan. Après ils peuvent grossir une fois, 10 fois, 20 ou 30 fois. C’est plus difficile de faire ça pour nous, puisque le canal anal est vu en fuite. Donc on fait une mise au point à faible grossissement, et après, une fois qu’on est au point, on rapproche la loupe, ce qui permet d’avoir une mise au point progressive et d’augmenter le grossissement sur une zone d’intérêt. Une fois qu’on a appliqué l’acide acétique, on va appliquer le lugol, souvent avec un plus petit coton pour ne pas noyer les lésions, et l’appliquer uniquement sur les zones d’intérêt. Quand il faut faire des biopsies, on se sert de cette pince à biopsie rigide, dont la taille est adaptée à l’AHR et qui permet de passer assez facilement entre le colposcope et l’anuscope. Ce sont des pinces de rectoscope rigides et courtes.
CFW : quand tu fais ça en consultation, c’est sans anesthésie locale ?
IE : ça dépend. Si la lésion est marginale, on fait toujours une anesthésie locale, mais au-dessus de la ligne pectinée souvent je teste, car la zone sensible et très variable d’une personne à l’autre. Quand il n’y a qu’une biopsie souvent je leur dis « je vais faire la biopsie, je ne fais pas d’anesthésie » parce-que sinon il faut piquer puis faire la biopsie ; mais quand on part pour plusieurs biopsies, là oui on peut faire une anesthésie locale, à la xylocaïne, avec un prolongateur. L’anesthésie permet ensuite de détruire les lésions par l’application d’infrarouge. L’application d’infrarouge est quand même douloureuse, surtout si on est trop bas en zone transitionnelle. Cependant ça se passe très bien sous anesthésie locale.
CFW : alors deux questions me viennent. La première : est-ce qu’il t’arrive d’avoir un saignement, qui nécessite que tu fasses un petit point d’hémostase ?
IE : non jamais. On a le bistouri électrique, si jamais on avait un saignement, ou éventuellement le nitrate d’argent. Les biopsies sont toujours assez superficielles, je n’ai jamais eu de problème de saignement non contrôlé sous AHR.
CFW : deuxième question : tu parles d’infrarouge. Tu préfères traiter les lésions à l’infrarouge plutôt qu’au laser ou au bistouri électrique ?
IE : l’infrarouge est indiqué pour les lésions planes, de haut grade ou de bas grade, assez peu étendues. Il peut être fait sous AHR en consultation, il est souvent assez bien toléré. Quand les lésions sont trop anfractueuses, trop étendues, on utilisera plutôt le bistouri électrique. Quand elles sont étendues, je préfère le faire au bloc opératoire sous anesthésie où j’ai l’AHR. Dès qu’on a une lésion beaucoup plus importante et qu’on veut avoir une analyse histologique complète, on ne peut pas faire d’infrarouge, et notamment pour toutes les lésions marginales on va faire plutôt des résections orientées au bloc opératoire avec un étalement de la pièce.
CFW : demandez-vous à votre patient de faire avant de venir un lavement pour nettoyer le rectum ?
IE : surtout pas, parce-que le lavement coule et finalement nous gêne, donc il n’y a aucune préparation. Aussi, quand on fait une cytologie, il est important de demander aux patients de ne pas avoir fait une douche ou une toilette trop soigneuse, de ne pas avoir trop frotté, car cela atténue la desquamation des cellules.
CFW : je te propose maintenant d’aller à la rencontre d’une de tes patientes, et on se retrouve juste après…
CFW : bonjour Madame. Vous êtes venue de loin aujourd’hui, pour bénéficier d’une anuscopie haute résolution (AHR). Pouvez-vous nous dire pourquoi vous êtes venue d’Orléans, vous faire soigner ici à Paris ?
M : j’ai été opérée il y a deux ans d’une lésion de haut grade à Orléans où j’habite, et le chirurgien et le gastro-entérologue n’étaient pas forcément d’accord sur la conduite à tenir dans l’après-coup, entre une surveillance et une radiothérapie. Ma gastro-entérologue a donc fait le choix de m’envoyer voir une experte de la question, et je suis donc venue voir le Dr Etienney, qui me suit depuis deux ans.
CFW : votre témoignage prouve bien que c’est un centre expert, que cette technique n’est pas accessible partout en France et que c’est encore une pathologie assez mal connue, pour laquelle les médecins sont parfois pris au dépourvu. Je crois que vous avez déjà eu une AHR au bloc opératoire, donc vous pourrez difficilement nous faire part de votre ressenti puisque vous dormiez, mais aujourd’hui vous avez passé une AHR en consultation. Pouvez-vous nous dire comment vous avez vécu cet examen, est-ce que c’était long ? Est-ce que c’était douloureux ? Est-ce que vous seriez encline à refaire ça régulièrement si besoin ?
M : oui je viens d’avoir une AHR, en fait c’est la troisième. J’en ai eu une effectivement au bloc sous anesthésie générale, pour laquelle j’aurais du mal à vous à vous témoigner mon ressenti. Mais sur les anuscopies que j’ai eues en consultation, c’est un examen qui dure environ 20 à 25 minutes. Je n’ai pas ressenti de douleur ; parfois au moment du prélèvement il y a une petite sensation de brûlure ou de picotement, mais là, le docteur Etienney m’a fait une petite anesthésie pour le prélèvement, donc je n’ai vraiment rien senti. Ça se fait vraiment dans le respect du patient avec prévention de la douleur. Je n’ai pas eu de mauvaise expérience lors d’AHR. Je suis suivie régulièrement, je reviens tous les six mois.
CFW : merci beaucoup d’avoir accepté de jouer le jeu, et d’avoir répondu à mes questions. Je vous souhaite un bon retour sur Orléans.
CFW : encore quelques petites questions si tu veux bien, avant qu’on ne close cette rencontre. Penses-tu que l’AHR puisse devenir un examen de routine, pratiqué par tous les proctologues en France ?
EI : sa place reste encore à définir. Je pense qu’elle doit vraiment entrer dans une stratégie de prise en charge globale, après triage par la cytologie. Il faut que l’on travaille encore sur sa place exacte. C’est un outil à la fois de dépistage des lésions anales pré cancéreuses, et de suivi de ces lésions, pour essayer de détecter leur récidive le plus tôt possible.
CFW : justement si aujourd’hui nos collègues voulaient se former à l’AHR, que leur conseillerais-tu ? Cette formation peut-elle être faite en France ?
IE : tout à fait ; nous avons mis en place une plateforme d’enseignement en e-learning francophone avec des collègues belges, canadiens, suisses. L’accès se fait par la même plateforme d’e-learning que le DIU de proctologie. C’est assez simple de s’inscrire.
C’est le premier volet de formation, avec des cours théoriques, et l’accès à un atlas, qui est commenté sur une session ultérieure. Une fois cette formation théorique suivie, il faut se mettre en rapport avec un centre qui pratique l’AHR en France, pour la formation pratique. Et puis une fois aguerri, sont prévues des master class, dont les premières vont avoir lieu en décembre à la Croix Saint Simon.
CFW : hormis votre centre, ici à Paris, peux-tu nous en citer d’autres où l’on peut aller se former ?
IE : bien entendu ! En France il y a beaucoup de centres qui travaillent en AHR, je pense notamment à Rennes, Dijon, Lyon, Montpellier, Marseille, Bordeaux, Toulouse, et d’autres à Paris…
CFW : bien, je crois que l’interview touche à sa fin, qu’on a fait un petit peu le tour. Je te remercie encore pour ton accueil