Aller au contenu

Interview de Vincent de Parades sur la fissurectomie

NF : Bonjour à tous,
Aujourd’hui, je vais essayer d’animer un débat entre deux proctologues éminents : Vincent de Parades et Jean-François Contou concernant le traitement chirurgical de la fissure anale.
Il y a en effet matière à débattre puisque les français ne pratiquent quasiment que la fissurectomie +/- anoplastie alors que dans le reste du monde et notamment chez les anglo-saxons, la sphinctérotomie latérale interne (SLI) ou la léiomytomie est la technique de choix.
On va essayer d’aborder le sujet en interviewant tout d’abord le Dr de Parades qui va défendre la fissurectomie, technique de référence en France ensuite le Dr Jean François Contou nous donnera les raisons pour lesquelles il va à contre-courant et préfère largement la SLI. Bonjour Vincent, merci d’avoir accepté l’interview.

VDP : Bonjour Nadia, merci à toi

NF : Les proctologues anglo-saxons considèrent la SLI comme le gold standard du traitement chirurgical de la fissure anale.
Dans ces conditions, pourquoi ne fais-tu pas cette technique ?

VDP : Je ne fais pas cette technique parce que la section du sphincter interne est un geste définitif qui peut se solder par des troubles séquellaires de la continence anale potentiellement difficiles à traiter. Du reste, bon nombre de patients craignent ces troubles et sont soulagés à l’idée que leur sphincter interne ne sera pas sectionné lors du geste chirurgical. De surcroît, la fissurectomie simple s’avère très efficace en pratique quotidienne. Certes, elle se solde parfois par des non cicatrisations de la fissure (< 5%), voire des récidives après cicatrisation (< 5%), mais ma conviction est que c’est dans des proportions similaires à ce qui survient après SLI. Je parle de « conviction » parce qu’il n’y a pas d’étude comparative digne de ce nom qui ait été faite.

NF : Comment expliques-tu que la fissurectomie seule soit efficace dans le traitement d’une fissure anale avec contracture sphinctérienne ?

VDP : C’est une question difficile. Je pense que la dissection du lambeau cutanéo-muqueux d’exérèse, a fortiori si elle est menée au bistouri électrique, contribue à amincir un peu le sphincter interne. Je pense également que la mise en place d’écarteurs pour la partie endocanalaire du geste contribue à dilater le sphincter interne. Tout cela fait que le geste n’est pas seulement une exérèse d’une plaie chronique fibreuse organisée qui ne peut plus cicatriser mais il contribue aussi à diminuer le tonus du sphincter interne et donc à lutter contre la contracture sphinctérienne.

NF : Tu n’as pas parlé de l’anoplastie. En quoi cela consiste et cela se fait-il encore ?

VDP : Cette technique consiste à abaisser un lambeau de muqueuse rectale sur la plaie endocanalaire de la fissurectomie afin d’en accélérer la cicatrisation. C’est Ernest Parnaud, Jean Denis et Jean Arnous qui ont proposé cette technique en France à la fin des années 60. A l’époque, ils faisaient en plus une sphinctérotomie dans la plaie de fissurectomie postérieure suivie de l’anoplastie. Aujourd’hui, les « adeptes » de l’anoplastie se contentent de la fissurectomie avec anoplastie. Là encore, il n’y a pas d’étude comparative digne de ce nom. Ceci étant dit, nous venons de mener un travail dans le service. Il a consisté à étudier de façon rétrospective les dossiers de tous les patients ayant eu une fissurectomie seule ou avec anoplastie pour une « fissure postérieure unique et non infectée » ayant résisté et/ou récidivé après traitement médical entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018 dans le service. Ce sont les « vieux » opérateurs qui font encore des anoplasties tandis que les « jeunes » se contentent de faire la fissurectomie. Il y avait 184 fissurectomies seules versus 44 fissurectomies avec anoplasties. Il n’y avait aucune différence en termes de :

– taux de soulagement des douleurs

– taux d’arrêt des saignements

– taux de cicatrisation

– taux de récidives.

Ce travail ne plaide donc pas pour l’apport de l’anoplastie en sus de la fissurectomie.
Certes, c’est une étude rétrospective, non randomisée avec deux groupes pas exactement similaires mais il y avait beaucoup de patients.
Bref, cette technique « franco-française » se fait encore mais je pense qu’elle pourrait être abandonnée ce d’autant plus que certains l’ont accusée de favoriser la survenue de suppuration sous le lambeau pouvant nécessiter une reprise opératoire.

NF : Revenons au débat de la fissurectomie versus la SLI.
Si la fissurectomie semble aussi efficace que la SLI sans prendre le risque d’une incontinence anale séquellaire, pourquoi n’est-elle pas généralisée ?

VDP : En fait, la fissurectomie a un inconvénient, à savoir une plaie marginale qui nécessite des soins locaux contraignants qui font qu’il est difficile de reprendre le travail immédiatement et ce contrairement à la SLI qui n’a pas cet inconvénient, la reprise du travail pouvant se faire dès le lendemain de l’intervention. Aux USA et dans d’autres pays nombreux, c’est un problème car la reprise du travail doit être la plus rapide possible en postopératoire. En France, on prescrit habituellement un arrêt de travail de 8 à 10 jours en postopératoire. C’est naturellement une vraie contrainte mais nous avons un système social qui permet cela.

NF : Donc, tu ne fais jamais de SLI ?

VDP : Je n’ai pas dit ça ! En effet, cette technique est parfois utile chez des patients, notamment des hommes, ayant une contracture sphinctérienne majeure avec une fissure sans annexe hypertrophique évidente. C’est une technique que je trouve également utile chez certains patients ayant une contracture sphinctérienne importante, ayant eu une fissurectomie et n’ayant pas cicatrisé ou ayant récidivé.
Ceci étant dit, dans cette situation, l’alternative peut aussi consister à associer une injection de toxine botulique dans le sphincter interne à la fissurectomie. Nous le faisons de façon régulière dans le service avec de bons résultats. Certains proposent également des applications locales de trinitrine ou d’inhibiteurs calciques en postopératoire et ce jusqu’à cicatrisation.

NF : Merci beaucoup Vincent. Tu veux conclure en deux mots ?

VDP : Oui. Tout d’abord, j’ai la conviction que la fissurectomie a encore de beaux jours devant elle, certes elle nécessite des soins locaux postopératoires contraignants en postopératoire mais elle est très efficace en termes de cicatrisation et de soulagement des douleurs et ce sans prendre le risque d’une incontinence anale séquellaire.  Ensuite, Nadia, je te remercie pour cet échange d’autant plus agréable que Jean-François Contou, que tu vas ensuite interviewer, est un des coloproctologues qui m’a donné envie de faire cette spécialité ! Tu m’as donc rajeuni !

NF : Merci Vincent. On va passer à Jean-François.