Aller au contenu

La PrEP & le proctologue

Pr Charles Cazanave, infectiologue, Service des Maladies Infectieuses, CHU Bordeaux interviewé par le Dr Charlotte Favreau-Weltzer.

CFW : Bonjour Charles Cazanave.

Tu es Professeur des Universités dans le service de maladies infectieuses et tropicales, ainsi que membre du Centre National de Référence des IST bactériennes du CHU de Bordeaux.

L’idée de cette entrevue est de partager les visions de l’infectiologue et du proctologue, autour de la PrEP et plus précisément de la consultation proctologique chez les PrEPeurs.

En quelques mots, qu’est-ce que la PrEP ? Pourquoi ? Depuis quand ? Chez qui peut-elle être mise en place ?

CC : Merci Charlotte de me proposer cet entretien.

La PrEP est un sigle anglais pour « Pre-Exposure Prophylaxis » ou prophylaxie pré-exposition du VIH. En d’autres termes, l’idée est de prévenir la contamination VIH par la prise d’antirétroviraux avant un rapport sexuel potentiellement à risque.

Pourquoi ? Car le nombre de nouvelles découvertes VIH stagnait ces derniers années (autour de 6 500 / an) et particulièrement chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH). Bien sûr que le préservatif reste la meilleure arme, mais l’on s’est aperçu que cela ne suffisait pas, d’où l’idée de cette prévention par une bithérapie d’antirétroviraux (ténofovir et emtricitabine) à prendre en amont de l’acte sexuel.

Depuis quand ? Elle est accessible gratuitement en France depuis 2016, avec une AMM depuis 2017 et l’arrivée du générique la même année.

Comment ? Elle peut se prendre en continu (un comprimé par jour et c’est cela le cadre précis de l’AMM) ou bien en discontinu ou à la demande (2 cp au moins 2 h le rapport sexuel, puis 1 cp 24 h après les 2 premiers et un dernier 48 h après la 1ère prise, soit 4 cp en 3 prises).

Pour qui ? Pour toute personne à risque de contracter le VIH que ce soit par ses pratiques sexuelles ou bien par l’utilisation de drogues intraveineuses. Actuellement, en France, l’essentiel des prescriptions est réalisée chez des HSH (quelques femmes et transgenres).

CFW : Devant une prévalence élevée des IST dans la population HSH, et une incidence en augmentation depuis le début de la PrEP, vous préconisez un suivi régulier chez le proctologue. Cela concernerait 30 à 50 000 personnes en France.

Proposes-tu systématiquement une consultation chez le proctologue à tous les PrEPeurs ? Et penses-tu qu’il soit nécessaire de les examiner régulièrement ? Si oui à quelle fréquence ?

CC : En effet, les principales IST (excepté la syphilis) connaissent une incidence à la hausse depuis de nombreuses années et bien avant l’arrivée de la PrEP. Il n’y a pas de lien d’après moi entre l’augmentation nationale constatée des IST et l’arrivée de la PrEP.

Je propose systématiquement une « première » consultation chez le proctologue chez tout « PrePeur » HSH. Le timing de cette 1ère consultation dépendra de l’âge de la personne, de son activité sexuelle et de ses antécédents d’IST dont le HPV.

Ensuite, je confie au proctologue la rythmicité du suivi en fonction du bilan initial et des pratiques à risque de la personne.

CFW : Comment proposes-tu cette consultation un peu spéciale à tes « patients » ? Que leur expliques-tu au préalable ?

CC : Cela vient assez naturellement lors de notre 1er entretien qui est assez long (1 h en moyenne). Au moment d’aborder les antécédents d’IST, je leur demande s’ils ont déjà eu des « verrues » anales ou génitales, ou des condylomes – s’ils connaissent le mot – et s’ils ont déjà rencontré à ce moment-là un proctologue ou bien s’ils ont déjà vu un proctologue pour un autre motif non infectieux et l’on embraye ensuite sur ce point. C’est lors de notre 2ème rencontre que j’insiste sur l’intérêt d’une consultation chez le proctologue, notamment pour la prévention des complications du papillomavirus, même s’ils sont vaccinés (« un peu comme chez les jeunes femmes »). Ils me répondent souvent d’ailleurs « le proctologue est pour nous comme le gynécologue de nos copines ».

CFW : Qu’attend l’infectiologue de notre consultation de Proctologie ?

CC : Un « état des lieux » ! Savoir où l’on en est de la contamination HPV – mais aussi d’éventuels problèmes sphinctériens ou de douleurs coïtales – et quel suivi « à la carte » proposer.

CFW : Le dépistage des IST bactériennes (chlamydiose, gonococcie et syphilis) est fait très régulièrement dans la population des PrEPeurs ; attends-tu du Proctologue qu’il y procède ou cela est-il en général réalisé dans votre service ?

CC : C’est une bonne question et, globalement, les proctologues trouvent bien leur place. Pour ce qui est du dépistage de routine des asymptomatiques, en tant qu’infectiologues ou médecins généralistes, on l’assure. En revanche, quand vous les voyez en consultation avec des symptômes ou bien en consultation d’urgence pour un tableau pouvant évoquer une rectite, bien évidemment il vous incombe a minima de dépister chlamydia et gonocoque sur un prélèvement anal et la syphilis sur une sérologie.

CFW : Quelle information délivres-tu à tes « patients » concernant le HPV ?

CC : Je leur explique que c’est un virus très fréquent chez les HSH et qu’il peut potentiellement entraîner des condylomes, voire exceptionnellement d’autres complications (je ne cite pas le terme de « cancer » forcément) qui nécessitent un suivi régulier.

CFW : A qui proposes-tu en pratique le vaccin contre le HPV ? Un antécédent personnel de condylome t’empêche-t-il de vacciner tes patients, quel que soit leur âge ?

CC : Je reste très « evidence-based medicine », je propose ce vaccin à toutes les personnes que je vois dans le cadre strict de l’AMM en 1ère intention, par exemple un HSH de moins de 26 ans. Ensuite, au cas par cas, je peux le proposer en dehors de ce cadre (personne de 27 ou 28 ans) en leur expliquant que le vaccin n’est pas en principe remboursé « car hors AMM ». De ce fait, un antécédent de condylome chez un HSH de moins de 26 ans ne m’empêche pas de proposer le vaccin.  

CFW : A ton avis, à quelles personnes devrions-nous, proctologues, parler de la PrEP ? Tous les HSH ayant des rapports à risque ? Comment nous conseillerais-tu d’aborder cette question avec nos patients ?

CC : A mon avis, il faudrait parler de la PrEP aux HSH « à risque » que vous voyez en consultation : multipartenariat non protégé, IST à répétition, chemsex…

Il faudrait leur dire qu’outre le préservatif, en 2021 existent d’autres moyens de prévention du VIH (« éventail de la prévention ») comme la PrEP ou le traitement d’urgence post-exposition ou TPE (trithérapie à prendre 1 mois dans les 48 h suivant une exposition à risque en passant par les urgences).

CFW : En pratique, vers qui peut-on les adresser pour cela ?

CC : Il faudrait se rapprocher soit de leur médecin traitant (les médecins généralistes peuvent depuis peu réaliser une primo-prescription PrEP) ou bien de centres spécialisés (comme un CeGIDD ou un service de Maladies Infectieuses).

CFW : Existe-t-il des sites web ou des lieux d’information fiables (hors du système « médical ») ?

CC : Les sites de consultation PrEP sont répertoriés sur les sites des différents COREVIH (comité de Coordination de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine). Sinon, les associations comme SIDA Info Service ou AIDES (brochure PrEP dans l’onglet prévention de bonne qualité) proposent aussi des conseils sur la PrEP et ils peuvent aider.

CFW : Quelle est la proportion de ChemSexeurs chez les PrEPeurs ? Et inversement ?

CC : Il est difficile de l’évaluer, tout dépend à partir de quand on considère que la personne est dans la catégorie « chemsexeur ». En général, on parle de chemsex lorsqu’il y a un usage de drogues récréatives (3MMC pour la plus populaire, GBL…) dans un contexte sexuel. Ce pourcentage est variable aussi suivant les régions. On peut estimer à 20 à 30 %. Le chemsex se voit aussi chez d’autres HSH comme les patients VIH+, mais aussi, et de plus en plus, chez les hétérosexuels hommes et femmes (mais pourcentage difficile à évaluer ici).

CFW : Dans ton expérience, comment les PrEPeurs vivent-ils leur passage chez le proctologue ?

CC : Honnêtement, la 1ère fois que je leur en parle, beaucoup ont une certaine appréhension ; mais lorsqu’ils reviennent me voir ils sont ravis de l’accueil réservé !

CFW : Pour ceux qui ont dû être opérés d’une condylomatose anale, quel ressenti te rapportent-ils, à toi, leur médecin référent ?

CC : Ils sont globalement tous très satisfaits et rassurés. Bien sûr certains ont eu quelques douleurs post-opératoires, mais bien vite oubliées.

CFW : En consultation, quand tu t’adresses à un HSH, quel terme privilégies-tu ? Gay ? Homosexuel ? HSH ?

CC : « HSH » est assez politiquement correct et, à part chez les associatifs, personne ne le comprend et/ou l’utilise. Très simplement je leur demande la 1ère fois « vous avez des relations avec les filles (femmes), les garçons (hommes), les 2 ? » et la réponse est toujours très claire. Si je devais choisir, je dirais assez facilement « gay » avec les plus jeunes et avec les autres personnes, je dis souvent « hommes qui a des relations avec d’autres hommes » ou bien « relations homosexuelles ». Ensuite, dans le jargon médical, on va parler de « HSH exclusifs » pour les hommes qui ont des rapports uniquement avec les hommes et de « HSH » pour ceux qui ont des relations avec les hommes et avec les femmes (pour qui l’on utilisait le terme « bisexuel ») ; aussi, humblement, je ne pense pas être le plus grand spécialiste de cette sémantique, cette réponse est ma vision pratique de clinicien infectiologue.

CFW : Merci Charles !

Pour tout savoir sur la PrEP, retrouvez le replay de la conférence éthique lors des Journées de la SNFCP 2020 : www.snfcp.org/replay-des-e-journees-2020