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La transplantation ano-rectale : une réalité canine.

La recherche fondamentale est la clef de voûte de l’avenir de notre discipline. Cette chronique Eurêka ! prend comme point de départ un article récent de science fondamentale, quelle qu’en soit la discipline, mais entrant en résonance avec la colo-proctologie afin d’en faire émerger l’originalité que ce soit par son caractère novateur, par sa perspective, par son caractère contre-intuitif ou encore par sa démarche scientifique surprenante.

Le 7 décembre 1905, l’ophtalmologue autrichien Eduard Zirm est entré dans l’histoire après avoir effectué la première greffe de cornée qui fut considérée comme le premier succès de l’allo-transplantation humaine. Cet évènement mémorable a aussi donné le top-départ à la course effrénée au premier succès de l’allo-transplantation pour chaque organe: 1908 pour la peau, 1950 pour le rein, 1963 pour le poumon, 1967 pour le foie et le cœur, 1988 pour la double transplantation foie-intestin grêle, 1998 pour la main, 2005 pour le visage, 2014 pour l’utérus permettant la mise au monde d’un nouveau-né en pleine forme… On nous promettait même la première greffe de tête pour 2020. Mais au sein de cette abondante liste d’organes transplantés avec succès chez l’Homme, aucune trace de l’appareil ano-rectal. Pourquoi ? Certes ce n’est pas un organe vital, mais la cornée non plus, bien entendu ce n’est pas une transplantation techniquement simple à envisager, mais la transplantation de visage non plus. Or l’impact majeur de la dysfonction de l’appareil ano-sphincterien sur la qualité de vie des patients n’est pas un secret pour les lecteurs que nous sommes de la Revue de la SNFCP. C’est dans le but d’améliorer la qualité de vie chez ces patients que le projet ambitieux de transplantation ano-rectale a progressivement germé dans la tête de certains chercheurs et chirurgiens.

Chez l’Homme, une transplantation ano-rectale a déjà été réalisée sur cadavre [1], constituant un premier pas sur la faisabilité de cette transplantation. Évidemment, cette chirurgie sur cadavre n’a pas permis d’évaluer la bonne vascularisation du greffon, l’absence de rejet, le résultat fonctionnel et encore moins le degré de satisfaction du patient… Nous n’en sommes qu’au début ! Pour avancer in vivo sur ce projet, d’autres chercheurs ont tenté la transplantation ano-rectale chez le rat et le porc rapportant des résultats satisfaisants à court terme sur le plan de la vascularisation du greffon et de l’absence de rejet. [2, 3] Qu’en est-il du résultat fonctionnel ? Le rat et le porc n’ont pas un contrôle de la défécation proche de celui de l’Homme, donc l’efficacité de cette transplantation sur son objectif principal, à savoir le rétablissement de la fonction sphinctérien n’a jamais été réellement évaluée.

Mais tout ça, c’était avant la publication du travail de Araki et al. en février dernier dans Annals of Surgery. [4] Sur un modèle canin, dont le contrôle de la défécation se rapproche de celui de l’Homme, les auteurs ont évalué la faisabilité de l’allo-transplantation ano-rectale et une attention toute particulière a été apportée au résultat fonctionnel obtenu. Dans un premier temps, ils ont comparé le résultat fonctionnel après section-anastomose bilatérale des nerfs pudendaux au résultat fonctionnel après section bilatérale des nerfs pudendaux sans reconstruction pour évaluer l’efficacité de cette réparation nerveuse. L’analyse manométrique a montré la récupération progressive de contractions rythmiques du sphincter anal après réparation nerveuse contrairement à la section des nerfs pudendaux sans reconstruction ainsi qu’un tonus sphinctérien de repos bien meilleur à 1 an post-opératoire après section-anastomose. De plus, l’analyse électromyographique a confirmé la présence d’une transmission neuromusculaire du nerf pudendal vers le sphincter anal suite à la réparation nerveuse. Suite aux résultats concluants de cette première phase expérimentale, l’équipe japonaise a ensuite réalisé, toujours sur modèle canin, une auto-transplantation ano-rectale, une allo-transplantation avec immunosupresseur et une allo-transplantation sans immunosupresseur. Sur le plan technique, cette transplantation ano-rectale comprenait l’anastomose bilatérale des artères, des veines et des nerfs pudendaux en plus des anastomoses réalisées pour la continuité digestive. Une colostomie de dérivation était confectionnée pour être fermée 2 semaines après la transplantation. L’animal opéré d’une allo-transplantation sans immunosuppresseur a observé un rejet aigu du greffon au 4ème jour post-opératoire ce qui n’a pas été le cas de l’animal opéré d’une allo-transplantation associée à l’administration au long cours d’immunosuppresseurs. Que ce soit après allo-transplantation et immununosupresseur ou auto-transplantation, le résultat fonctionnel obtenu était excellent à un an de la greffe. La défécation était parfaitement contrôlée par les animaux, vidéo à l’appui en annexe de la publication pour ceux qui n’y croiraient pas ! La défécographie a mis en évidence la fermeture du sphincter anal avant la défécation ainsi que la dilatation du sphincter associée à la contraction simultanée du rectum au moment de l’exonération fécale.

Cette étude est donc une grande première puisqu’elle rapporte la réussite technique et surtout la réussite fonctionnelle de la transplantation ano-rectale chez le chien. Les effectifs étaient particulièrement réduits pour des justifications éthiques d’expérimentation animale, mais les résultats sont là. Beaucoup de questions naissent de cette étude de faisabilité en vue d’une éventuelle application chez l’Homme dans un avenir proche : y a-t-il des limites éthiques propres à la transplantation ano-rectale ? Le grand public acceptera-t-il de donner son appareil ano-rectal au même titre que son cœur ou son rein après sa mort ? Quels sont les patients potentiellement candidats ? Le bénéfice attendu de cette transplantation non vitale justifie-t-il l’administration à vie d’une immunosuppression non dénuée d’effets secondaires ? Comment cette transplantation sera-t-elle perçue par les patients receveurs ? Pour l’anecdote, la première allo-transplantation de pénis chez l’homme a eu lieu en 2005 et malgré la réussite chirurgicale, le greffon a dû être explanté à deux semaines seulement de la greffe en raison de l’apparition de problèmes psychologiques sévères chez le patient et chez sa femme. [5] Au-delà de la faisabilité technique de la transplantation ano-rectale chez l’Homme, l’article pré-clinique sur modèle canin de Araki et al. est avant tout l’occasion de commencer à réfléchir à l’ensemble des problèmes éthiques en lien avec cette transplantation singulière.

Références

  1. Araki J, Nishizawa Y, Sato T, Naito M, Akita K, Tashiro K, et al. Anorectal transplantation in human cadavers: mock anorectal allotransplantation. PLoS One 2013;8:e68977.
  2. O’Bichere A, Shurey S, Sibbons P, Green C, Phillips RK. Experimental model of anorectal transplantation. Br J Surg 2000;87:1534-9.
  3. Galvao FH, Seid VE, Nunes dos Santos RM, Kitamura M, de Castro Galvao R, Ambar Pinto R, et al. Anorectal transplantation. Tech Coloproctol 2009;13:55-9.
  4. Araki J, Nishizawa Y, Fujita N, Sato T, Iizuka T, Kamata M, et al. Anorectal Transplantation: The First Long-Term Success in a Canine Model. Ann Surg 2021.
  5. Hu W, Lu J, Zhang L, Wu W, Nie H, Zhu Y, et al. A preliminary report of penile transplantation. Eur Urol 2006;50:851-3.