EPIC* : *Abramowitz L, et al. Caesarean section in the second delivery to prevent anal incontinence after asymptomatic obstetric anal sphincter injury: the EPIC multicentre randomised trial. BJOG. 2021;128:685-693.
ED : Bonjour Vincent. On se voit aujourd’hui pour que tu nous fasses part de ton ressenti de l’étude EPIC publiée récemment. Dans un premier temps, peux-tu nous expliquer dans quelle structure de soins tu pratiques l’obstétrique ?
VD : Je travaille dans une maternité hospitalo-universitaire de type 3. Notre activité obstétricale représente à peu près 3.900 accouchements en 2020 soit environ 4.100 naissances avec les naissances multiples. Le taux de césarienne est d’environ 20-21% avec un faible taux d’épisiotomie (4% sur l’année 2020) par rapport à la moyenne nationale (12% sur la même période). Nous avons répertorié 40 lésions obstétricales du sphincter de l’anus (LOSAs) de type 3 ou 4 sur 3.210 accouchements par voie basse spontanés ou par extraction, soit un taux de LOSAs de 1,3%.
ED : Pour toi, obstétricien, quels messages importants retires-tu de l’étude EPIC ?
VD : Déjà c’est le premier essai randomisé qui apporte un poids très important sur certaines prises en charge. Le premier point principal qu’on peut retenir est effectivement qu’il n’y a pas de bénéfice de la césarienne prophylactique systématique chez une patiente qui est asymptomatique avec un antécédent de lésions du sphincter de l’anus. Le deuxième point est qu’il n’y a pas de différence entre le groupe césarienne et le groupe voie basse, sur le score d’incontinence de Vaizey à huit mois et d’ailleurs ce score est globalement assez faible, puisqu’il est estimé à environ 1 sur 24 (valeur maximale possible).
Toutefois, chez les patientes symptomatiques qui avaient un score de Vaizey supérieur ou égal à 5 après une lésion du sphincter, bien que ce soit un faible effectif dans l’étude, le score à huit mois était plus faible dans le bras « césarienne » que dans le bras « accouchement par voie basse ». Mais ça ne reste vrai que sur l’année de suivi, et sur un très petit effectif.
ED : Avant cette étude, quelle était la stratégie adoptée dans ton équipe pour une patiente asymptomatique qui se présentait pour un deuxième accouchement, alors qu’elle avait eu un première accouchement compliqué d’une LOSA ?
VD : A cette époque, dans notre centre on suivait les recommandations internationales, notamment celles du Royal College et puis récemment celle du Collège National des Gynécologues de 2018 sur la prévention et la protection périnéale en obstétrique. On proposait assez facilement aux femmes symptomatiques une césarienne itérative. Par contre chez les patientes qui n’était pas symptomatiques, on proposait soit une césarienne itérative au prix du risque de morbidité de la césarienne, soit une tentative d’accouchement par les voies naturelles en les prévenant qu’il y avait un risque de récidive de LOSA d’à peu près 2 à 15%.
ED : Finalement qu’est-ce que cet article a changé dans la prise en charge de ces patientes, que ce soit dans l’information que vous leur donnez, ou sur la décision que vous prenez pour leur deuxième accouchement ?
VD : Alors, concernant notre prise en charge obstétricale de ces patientes, il n’y a pas eu de modification particulière. Depuis 6 mois ou un an, nous avons mis en place un parcours de soins composé d’une visite postnatale par un obstétricien, d’une visite par un chirurgien digestif proctologue, plus une échographie du sphincter anal. Cela nous semble constituer un parcours de choix. Le but étant de proposer à la patiente la meilleure prise en charge pour ses symptômes actuels et, également, en vue d’envisager une future grossesse. Donc pour ces patientes cette prise en charge nous semblait devoir être automatique. Si elles sont asymptomatiques, on leur propose alors les deux solutions, dont la césarienne itérative, mais avec des risques de morbi-mortalité qui les font plutôt choisir la tentative de voie basse. Par contre chez les patientes symptomatiques une césarienne est le plus souvent proposée.
Aujourd’hui, à la vue des résultats d’EPIC, nous avons ressenti la nécessité d’une consultation vraiment spécialisée avec un gynéco-obstétricien et un proctologue pour bien évaluer sur les symptômes digestifs. Auparavant, on considérait la rééducation du périnée, plus pour la symptomatologie urinaire, et finalement assez peu pour l’incontinence aux gaz et aux selles. Je pense que l’utilisation des scores cliniques (score de Vaizey ou score de Wexner) est intéressante et mérite effectivement d’être un petit peu plus utilisée même si la simple question d’une incontinence aux gaz est déjà très pertinente.
Par ailleurs, c’est le premier essai randomisé qui apporte énormément de poids pour les praticiens qui étaient sceptiques sur les résultats des études de cohorte antérieures.
ED : Quel est donc ton petit mot de conclusion au sujet de cette étude ?
VD : Cet article nous incite, et nous conforte, dans la nécessité d’une collaboration étroite entre l’échographie d’un côté, le colo proctologue et l’obstétricien de l’autre, notamment en vue d’une future grossesse pour la meilleure prise en charge de ces patientes. Et de décider soit d’une césarienne itérative soit d’une tentative d’accouchement voie basse, tout en pouvant délivrer les meilleures informations à la patiente.
ED : Merci beaucoup Vincent, et bonne fin de journée à toi.
VD : Merci Emilie, et à très bientôt.