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La dyschésie peut-elle être traitée chirurgicalement ?

Les points essentiels

  • La chirurgie peut améliorer les anomalies anatomiques associées à l’obstruction à la défécation
  • La rectopexie, l’agrafage transanal et la plicature rectale sont des interventions qui peuvent améliorer l’évacuation du rectum

Ce que dit l’evidence-based medicine

  • Il n’y a pas de preuves factuelles permettant de favoriser une approche opératoire par rapport aux autres en termes d’amélioration de la dyschésie
  • Il n’y a pas de preuves factuelles permettant de poser l’indication opératoire dans une situation d’obstruction à la défécation, même en cas d’anomalie anatomique

Introduction

La dyschésie peut altérer de façon significative la qualité de vie des patients. Elle associe souvent un fractionnement des selles, des manœuvres digitales d’aide à l’évacuation, souillures (soiling) et parfois incontinence aux selles. Elle peut être douloureuse, et l’objet d’une demande insistante de prise en charge (1)

Parmi les causes du dysfonctionnement ano-rectal à l’origine de la dyschésie, les troubles de la statique pelvienne occupent une place importante. On peut donc supposer que la correction d’un trouble de la statique rectale puisse avoir un effet bénéfique sur la vidange du rectum. Cependant, l’anomalie anatomique n’est pas seule en cause et un trouble fonctionnel (moteur) du rectum est associé dans la majorité des cas. Or la chirurgie peut entrainer des lésions nerveuses, ou une réduction de la taille de l’ampoule rectale au moment de la dissection du rectum qui peut avoir un effet délétère sur sa fonction (2). L’enjeu de la chirurgie est donc de corriger au mieux l’anatomie et limiter les séquelles fonctionnelles.

Deux approches opératoires sont possibles pour corriger le trouble de la statique rectale : la voie abdominale (rectopexie) et la voie basse transanale.

Les progrès récents de l’imagerie, et en particulier l’IRM pelvienne dynamique, ont permis de bien décrire les anomalies anatomiques qui peuvent être impliqués dans l’entretien d’un trouble de la vidange rectale. C’est principalement la statique rectale elle-même qui est concernée :

La procidence rectale : le caractère physiologique de la procidence rectale de bas grade continue d’animer les débats sur la responsabilité de la procidence dans l’obstruction à la défécation. Toutefois, lorsqu’elle atteint le canal anal (procidence de haut grade) la gêne à la défécation peut être supposée et sa correction bénéfique.

La rectocèle : La protrusion de la paroi antérieure du rectum dans la cavité vaginale est une situation très fréquente qui n’entraine pas systématiquement des troubles de la vidange rectale. Dans certains cas, cette rectocèle peut être siège de stagnation de selles et des manœuvres digitales d’aide à l’évacuation en exerçant une pression sur la face postérieure du vagin soulagent la patiente.

L’entérocèle : Il s’agit de l’invagination dans le cul de sac de Douglas de plusieurs anses intestinales. Le volume d’une entérocèle peut exercer une pression sur le rectum et gêner sa vidange.

La descente périnéale : c’est une anomalie retrouvée souvent à l’examen clinique. On peut supposer que lors de cette descente périnéale, le rectum sorte de la concavité sacrée et que sa vidange soit gênée. Cette hypothèse a été avancée de longue date dans la littérature (3) sans qu’elle n’ait pu être prouvée à ce jour.

Les approches opératoires :

a | La rectopexie

La rectopexie ventrale avec une dissection limitée du rectum est aujourd’hui la technique de référence (4) (Figure 1). Cette approche a permis de diminuer le risque de constipation postopératoire liée à une dénervation par une dissection étendue circonférentielle du rectum. Cette approche n’augmente pas les risques de récidives, elle simplifie le geste opératoire et en limite les risques. L’intervention est menée par voie laparoscopique, La dissection se fait dans l’espace recto-vaginal (ou recto-prostatique pour les rares cas chez l’homme, jusqu’aux muscles releveurs, quasiment au contact de la paroi rectale. On expose ainsi la face antérieure du rectum sur toute sa hauteur sous le plan de réflexion péritonéale. La dissection reste limitée à la face antérieure du rectum, mais elle doit être complète jusqu’à visualiser le bas rectum au niveau de sa pénétration transpérinéale au sommet du canal anal. Une prothèse est ensuite classiquement positionnée dans la cloison recto-vaginale et fixée sur le rectum et/ou sur le plancher des releveurs. L’objectif de l’intervention est d’amarrer le rectum pour qu’il reste en position anatomique dans la concavité sacrée même aux efforts de poussées, mais aussi d’augmenter la distance du rectum sous-péritonéal.

Figure 1: Rectopexie ventrale laparoscopique. Dissection de la cloison recto-vaginale et interposition de la prothèse (A); suture au promontoire sacré (B) et péritonisation (c)

b | Les approches transanales

L’abord transanal pour traiter la dyschésie peut être envisagé de 2 façons :

La technique de Sullivan, la plus ancienne, a été décrite historiquement pour plicaturer la couche muscluleuse de la paroi antérieure du rectum après avoir exposé cette dernière par l’intermédiaire d’un écarteur anal. La technique initialement décrite par Sullivan et Khubchandani(5,6) a pour but de corriger la hernie rectale antérieure par voie endo-luminale, rectale. Dans cette cure endorectale de la rectocèle “ classique “, l’intervention restaure une paroi rectale antérieure solide avec la remise en tension de la musculeuse rectale déformée et l’apparition d’une fibrose cicatricielle dans la sous-muqueuse rectale (7). Avec le temps et selon les pays cette intervention prend le nom d’intervention de Delorme interne antérieur. Le point commun de toutes ces interventions est le caractère manuel de la plicature rectale sans recourir à des pinces agrafeuses (8). (Figure 2)

Figure 2: Traitement par voie transanale par intervention de Sullivan, avec plicature de la paroi rectale (d’après  Traitement chirurgical des rectocèle EMC  2017 Doi : 10.1016/S0246-0424(17)76407-2)

La seconde approche est l’agrafage rectal par voie anale (Figure 3). Plus récente, elle s’est développée dans le contexte précis du syndrome d’obstruction à la défécation. Cette seconde approche, plus complète et plus simple par l’utilisation d’agrafeuses mécaniques, la résection transanale agrafée du rectum (STARR pour stapled transanal rectal resection) (9,10). La résection rectale transanale agrafée du bas rectum, vise à faire disparaître les symptômes de constipation terminale en corrigeant de façon concomitante les lésions anatomiques identifiées : la procidence interne du rectum et la rectocèle. L’intervention consiste à effectuer une résection de 2 hémi-circonférences antérieure et postérieure du rectum en utilisant la pince agrafeuse.

Figure 3: Traitement par voie transanale par agrafage selon la technique STARR (Stapled Transanal Rectal Resection)

Résultats de la chirurgie sur la vidange rectale

Concernant la rectopexie, l’amélioration technique apportée par la rectopexie ventrale épargnant la dissection latérale et les blessures nerveuses a largement modifié son impact sur la vidange du rectum. Dans la description princeps de la technique, D’Hoore rapportait une amélioration de la dyschésie chez 15 des 19 patients opérés (4). Plus tard, dans leur registre incluant 919 patients (dans 2 centres appliquant la même technique) les mêmes auteurs ont rapporté une amélioration de la fonction de vidange rectale avec une diminution de la proportion de patients dyschésiques de 54% à 15% (11). Il est cependant aujourd’hui impossible de mettre en évidence des facteurs prédictifs d’amélioration. On sait également que la correction d’un trouble de la statique rectale peut améliorer les symptômes de constipation même en cas d’association avec une inertie colique (12)

Concernant l’approche transanale classique, les résultats sont encourageants : bien qu’historique, cette chirurgie « conventionnelle » peut être envisagée pour corriger la vidange du rectum. Le niveau de preuve reste cependant assez faible. Néanmoins, plusieurs études montrent que les résultats peuvent s’altérer notamment sur le critère de la dyschésie (13).

L’agrafage transanal est l’intervention qui a fait l’objet d’études randomisées et de registres qui lui donnent une preuve factuelle plus importante que les autres chirurgies rapportées dans ce chapitre. Elle a d’abord démontré qu’elle était plus efficace que la kinésithérapie de rééducation dans l’amélioration de l’obstruction à la défécation (14). Ensuite, les études focalisant sur le symptôme de dyschésie ont pour la plupart démontré l’efficacité à court terme mais aussi après un suivi plus prolongé jusqu’à 5 ans (15). Les registres sont aussi positifs, avec une amélioration très significative des patients. Cependant, la publication de complications graves (même si rares) a contribué à freiner l’expansion de cette intervention (16). En effet, des cas de fistules recto-vaginales ont été décrits. Par ailleurs, il est également décrit des cas de plaie de l’intestin grêle et de péritonite.

Algorithme de prise en charge

En l’absence de critères prédictifs de succès pour chacune des approches. Il faut se contenter d’une attitude pragmatique pour choisir la meilleure option chirurgicale. Dans tous les cas, la chirurgie doit être proposée après que les traitements conservateurs aient été tentés pendant une durée suffisante. Lorsque la rééducation, les traitements laxatifs et lavements n’ont pas permis de soulager durablement les patients, le bilan d’imagerie peut être effectué à la recherche d’un trouble de la statique rectale si l’examen clinique est en faveur. La chirurgie peut alors être envisagée. Les paramètres qui font choisir l’une ou l’autre des approches sont :

Les paramètres liés au patient :

Les antécédents chirurgicaux abdominaux

Les co-morbidités contre-indiquant l’approche abdominale

Les paramètres liés au trouble de la statique rectale :

La présence d’une élytrocèle et entérocèle

La présence de troubles associés de l’étage antérieur

Les paramètres liés aux techniques opératoires elles-mêmes :

Les approches abdominales sont moins pourvoyeuses de récidives anatomiques

Les paramètres liés au chirurgien :

Les approches par voie basses sont plus souvent réalisées par les chirurgiens gynécologues ou une habitude de la chirurgie des prolapsus

Les approches par voie haute sont en augmentation avec la diffusion de la laparoscopie

Dans une récente conférence de consensus formalisée d’experts ces différents paramètres ont été discutés (17).

Références :

  1. Podzemny V, Pescatori LC,Pescatori M et al. Management of obstructed defecation. World J Gastroenterol. 2015 Jan 28;21(4):1053-60
  2. Karjalainen PK, Mattsson NK, Nieminen K, et al. The relationship of defecation symptoms and posterior vaginal wall prolapse in women undergoing pelvic organ prolapse surgery. Am J Obstet Gynecol. 2019 May 22. pii: S0002-9378(19)30685-4
  3. Parks AG, Porter NH, Hardcastle J (1966) The syndrome of the descending perineum. Proc R Soc Med 59:477–482
  4. D’Hoore A, Cadoni R, Penninckx F. Long-term outcome of laparoscopic ventral rectopexy for total rectal prolapse. Br J Surg. 2004;91:1500–1505.
  5. Sullivan E.S., Leaverton G.H., Hardwick C.E. Transrectal perineal repair, an adjunct to improved function after anorectal surgery. Dis. Colon Rectum 1968; 11: 106–114.
  6. Khubchandani I.T., Clancy J.P., Rosen L., Riether R.D., Stasik J.J. Endorectal repair of rectocele revisited. Br. J. Surg. 1997; 84: 89–91
  7. Van Tets W.F., Kuijpers J.H., Tran K., Mollen R., Van Goor H. Influence of Parks’ anal retractor on anal sphincter pressures. Dis. Colon Rectum 1997; 40: 1042–1045.
  8. Wei-Cheng Liu Transanal surgery for obstructed defecation syndrome: Literature review and a single-center experienceWorld J Gastroenterol 2016 September 21; 22(35): 7983-7998
  9. Corman M.L., Carriero A., Hager T., Herold A., Jayne D.G., Lehur P.A, et al. Consensus conference on the stapled transanal rectal resection (STARR) for disordered defaecation. Colorectal Dis. 2006; 8: 98–101.
  10. Jayne D.G., Finan P.J. Stapled transanal rectal resection for obstructed defaecation and evidence-based practice. Br. J. Surg. 2005; 92: 793–794.
  11. Esther C. J. Consten, Jan J. van Iersel, Paul M. Verheijen Ivo A. M. J. Broeders y Albert M. Wolthuis and Andre D’Hoore, MD, PhD Long-term Outcome After Laparoscopic Ventral Mesh Rectopexy Ann Surg 2015;262:742–748
  12. Gosselink MP, Adusumilli S, Harmston C, Wijffels NA, Jones OM, Cunningham C, Lindsey I Impact of slow transit constipation on the outcome of laparoscopic ventral rectopexy for obstructed defaecation associated with high grade internal rectal prolapse. Colorectal Dis. 2013 Dec;15(12):e749-56
  13. Berman IR, Harris MS, Rabeler MB. Delorme’s transrectal excision for internal rectal prolapse. Patient selection, technique, and three-year follow-up. Dis Colon Rectum 1990; 33: 573-580
  14. 14 Lehur PA, Stuto A, Fantoli M, Villani RD, Queralto M, Lazorthes F, Hershman M, Carriero A, Pigot F, Meurette G, Narisetty P, Villet R; ODS II Study Group Outcomes of stapled transanal rectal resection vs. biofeedback for the treatment of outlet obstruction associated with rectal intussusception and rectocele: a multicenter, randomized, controlled trial. Dis Colon Rectum. 2008 Nov;51(11):1611-8
  15. Meurette G, Wong M, Frampas E, Regenet N, Lehur PA. Anatomical and functional results after stapled transanal rectal resection (STARR) for obstructed defaecation syndrome. Colorectal Dis. 2011 Jan;13(1):e6-11
  16. Giarratano G, Toscana C, Toscana E, Shalaby M, Sileri P. Stapled transanal rectal resection for the treatment of rectocele associated with obstructed defecation syndrome: a large series of 262 consecutive patients.Tech Coloproctol. 2019 Mar;23(3):231-237
  17. Picciariello A, O’Connell PR, Hahnloser D et al. Obstructed defaecation syndrome: European consensus guidelines on the surgical management Br J Surg 2021 Apr 17; doi: 10.1093/bjs/znab123