Introduction
Devant un syndrome douloureux pelvi-périnéal chronique devront être éliminées les pathologies proctologiques locales classiques, avant d’évoquer une névralgie pudendale, une autre névralgie périnéale, les pathologies intriquées comme les syndromes myo-fasciaux, voire un syndrome de sensibilisation pelvi-périnéale à la douleur…
Les pathologies proctologiques classiques
De nombreuses pathologies proctologiques sont associées à des douleurs chroniques. Toutefois l’interrogatoire et un examen clinique simple permettent de les éliminer. Cet examen doit toujours comprendre : une inspection et palpation de la mage, puis un toucher anal et rectal. Il est conseillé de faire une anuscopie et idéalement une rectoscopie. Tous ces examens peuvent être effectués au cours d’une consultation proctologique simple et rapide, sans préparation, ni anesthésie.
- Tout d’abord, les hémorroïdes accusées de tous leurs maux par les patients ne sont que très rarement responsables de douleurs chroniques. La classique crise hémorroïdaire est en fait une tuméfaction initialement douloureuse qui va disparaître spontanément en 2 à 4 semaines.
- La fissure anale est typiquement rythmée par la selle. Tout va bien jusqu’au passage aux toilettes qui déclenche immédiatement, ou de façon retardée, une douleur qui n’est pas influencée par la position et peut durer plusieurs heures. Elle est souvent associée à un saignement au passage de la selle. Il n’y a pas de tuméfaction anale, la douleur est interne. Elle évolue par poussées, plus ou moins prolongées et anciennes, souvent provoquées par un épisode de constipation. L’examen de la marge anale retrouve facilement la plaie fissuraire dans le canal anal.
- Les suppurations anales sont classiquement aigües, responsables d’une douleur croissante en quelques jours, insomniante, associée à une tuméfaction sensible de la marge anale. Il ne faut pas compter sur la fièvre, rarement présente, pour aider au diagnostic. L’examen clinique redresse immédiatement le diagnostic. Δ Attention, certaines suppurations nichées dans l’épaisseur du sphincter anal donnent des tableaux cliniques atypiques de douleur chronique déclenchée par la selle, par la contraction anale, parfois par la position assise. L’examen retrouve au toucher une petite tuméfaction dans la paroi du canal anal exquisément douloureuse et on visualise à l’anuscopie l’ouverture du diverticule intramural. En cas de doute l’IRM, ou plus facilement l’échographie endo anale feront le diagnostic.
- Les pathologies cutanées purement douloureuses sont rares. Ce sont les atteintes érosives ou ulcérées des lésions prénéoplasiques ou néoplasiques de l’anus, les lésions caustiques secondaires aux selles en cas d’incontinence. Le prurit anal, essentiel ou dû à une dermite (eczéma, psoriasis…) peut être associé à des lésions de grattage érodées, mais la démangeaison est présente (Δ c’est un signe d’exclusion du diagnostic de névralgie pudendale).
- Les pathologies tumorales ano-rectales sont responsables de douleurs permanentes, exacerbées par le contact, le plus souvent il existe des saignements, suintements et l’examen retrouve une ulcération ou une masse de la marge, du canal anal ou du bas rectum. Les tumeurs pelviennes extrarectales sont facilement évoquées au toucher ano-rectal.
- Les maladies inflammatoires digestives localisées au rectum sont associées à des troubles de l’évacuation rectale : besoins fréquents, faux-besoins, évacuations glairo-sanglantes, voire diarrhée. La rectoscopie confirme facilement le diagnostic.
- Les pathologies urinaires ou gynécologiques sont aisément différenciées à l’interrogatoire, en cas de doute une palpation prostatique ou un toucher vaginal seront simples à effectuer.
En résumé, l’interrogatoire, un examen proctologique complet avec au moins une anuscopie, et idéalement une rectoscopie sont indispensables lors du bilan de tout syndrome douloureux chronique périnéal. Δ L’indication de l’IRM en cas de douleur pelvi-périnéale chronique doit être assez large. Premièrement pour clore l’étape du diagnostic différentiel avec une pathologie loco-régionale, et aussi pour démontrer formellement au malade qu’il n’existe pas de cause « organique » locale à ses symptômes.
Les douleurs fonctionnelles « classiques »
- La proctalgie fugace est un diagnostic d’interrogatoire. Douleur paroxystique, interne à type de coup de couteau survenant de façon imprévisible, par salves ou isolée, préférentiellement en seconde moitié de nuit. La douleur peut être syncopale, fugace ou durer une heure. L’examen clinique est strictement normal.
- La coccygodynie, due à un conflit articulaire au niveau du coccyx, est responsable de douleurs à la pression, notamment en position assise. Lors de l’examen clinique, la manipulation du coccyx entre un doigt externe et un doigt intrarectal reproduit la douleur. Durant cette manipulation il faut bien distinguer une éventuelle sensibilité du muscle puborectal à la pression, de la douleur électivement due à la mobilisation du coccyx.
- Le syndrome des releveurs, douleur interne à type de pesanteur, parfois positionnelle, aggravée par la fatigue, pouvant être déclenchée par le besoin d’aller à la selle est un syndrome myo-fascial du muscle pubo-rectal avec hypertonie douloureuse du muscle au toucher rectal. Il peut être associé à une douleur névralgique pudendale.
Les causes proximales de névralgies
- Les atteintes des racines sacrées dues à une tumeur neurologique ou une tumeur de voisinage peuvent provoquer des douleurs névralgiques. Elles seront le plus souvent permanentes, non positionnelles. Δ L’interrogatoire trouve des signes déficitaires (motricité des membres inférieurs, troubles de la sensibilité, troubles de la continence anale et/ou urinaire), confirmés par l’examen neurologique. L’examen physique, et surtout l’IRM pelvienne poseront le diagnostic.
- La sclérose en plaque, particulièrement dans ses localisations périnéales peut donner des tableaux douloureux chroniques, volontiers inauguraux. Δ Des signes déficitaires ou des symptômes vésico-sphinctériens irritatifs et obstructifs sont évoqués à l’interrogatoire. A l’examen des signes déficitaires, sensitifs surtout, sont recherchés. Un point cutané périnéal avec hyperalgésie de contact est un signe très évocateur.
En résumé, l’existence de signes déficitaires, de troubles vésico-sphinctériens doivent alerter. L’examen neurologique du périnée et des membres inférieurs doit être strictement normal : sensibilité cutanée, contraction anale, réflexe de contraction anale à la toux, examen moteur, sensitif et des réflexes des membres inférieurs. L’IRM médullaire, voire cérébrale n’est pas systématique. Δ Elle peut retrouver des anomalies très fréquentes (hernie discale, canal lombaire étroit, kyste de Tarlov) qui inquiéteront le malade, voire un chirurgien, et ne sont pas responsables de syndromes névralgiques pudendaux.
La névralgie pudendale par syndrome canalaire
La névralgie pudendale par syndrome canalaire ou par compression est une entité définie cliniquement par des critères très stricts, incluant la réponse à un bloc anesthésique. Ce syndrome recouvre un tableau douloureux, sans marqueur paraclinique, Δ il est donc avant tout un diagnostic d’élimination. La forme pure de névralgie pudendale par syndrome canalaire est due à une compression du nerf à un des trois points suivants : dans le canal sous le muscle piriforme, dans la pince ligamentaire postérieure constituée par le ligament sacro-épineux et le ligament sacro-tubéral et enfin, dans le canal d’Alcock. Mais sa proximité avec le muscle piriforme et l’obturateur interne l’expose aussi à souffrir en cas de pathologie myo-fasciale de voisinage (muscles piriforme et obturateur, ligaments s’insérant sur la tubérosité ischiatique). Un comité d’experts a défini un ensemble de critères diagnostiques (critères de Nantes)( Labat JJ, Riant T, Robert R, Amarenco G, Lefaucheur JP, Rigaud J. Diagnostic criteria for pudendal neuralgia by pudendal nerve entrapment (Nantes criteria). Neurourology and Urodynamics 2008;27:306–310.) qui permettent le diagnostic de névralgie pudendale par compression, avec une sélection en entonnoir se terminant par l’infiltration test.
Les cinq caractéristiques de la douleur suivantes sont indispensables :
- topographie pudendale,
- positionnelle : La douleur est déclenchée et/ou aggravée par la position assise,
- diurne, soulagée la nuit, ne réveillant pas,
- sans déficit sensitif ni moteur,
- elle doit répondre à l’infiltration anesthésique, au moins le temps de la durée d’action du produit injecté.
Sont aussi définis des critères d’exclusion : douleur purement coccygienne, purement fessière ou purement hypogastrique, exclusivement paroxystique, exclusivement prurigineuse, présence d’anomalies organiques pouvant expliquer les symptômes. Sont admis des signes associés, inconstants : diffusion à un territoire anatomique voisin (fesses, sciatique tronquée, face interne cuisse, région pubienne ou sus pubienne), des signes urinaires (pollakiurie, inconfort vésical), des troubles de l’érection, de l’éjaculation, une augmentation de la douleur après les rapports sexuels, des troubles de la continence anale.
Les pathologies intriquées
Les syndromes myo-fasciaux regroupent l’ensemble des symptômes dus à un conflit musculo-aponévrotiques, qui diffuse souvent aux nerfs de voisinage. Par exemple, une névralgie pudendale peut être secondaire à un syndrome myo-fascial du muscle piriforme, du muscle pubo-rectal et aussi du muscle transverse profond. En plus du tableau névralgique, existeront des douleurs aux mouvements sollicitant ces muscles et des douleurs provoquées par leur pression. L’imagerie n’est pas très sensible pour mettre en évidence ces anomalies musculo-ligamentaires. De plus il existe fréquemment un syndrome d’hypersensibilisation qui enrichit la symptomatologie. Voir les fiches « syndromes myo-fasciaux » et « syndrome d’hypersensibilisation », plus loin dans le dossier.
En résumé : le syndrome de névralgie pudendale recouvre la forme pure par compression sur le trajet du nerf, et aussi les atteintes secondaires aux syndromes myo-fasciaux. Diagnostiquer un syndrome myo-fascial est important, car cela permettra d’enrichir l’arsenal thérapeutique proposé.
Conclusion
Éliminer une pathologie “organique” est essentiel devant un tableau de douleur chronique périnéale. L’interrogatoire et l’examen physique sont fondamentaux dans cette étape. Tout symptôme neurologique autre que la douleur doit faire évoquer une atteinte organique. L’examen neurologique doit être normal. L’examen physique doit inclure un examen proctologique, et si possible un examen gynécologique. L’imagerie par IRM pelvi-périnéale sera facilement demandée. L’IRM médullaire, voire cérébrale ne sera proposée qu’en cas de doute.
Tableau : Récapitulatif des diagnostics différentiels du syndrome de névralgie pudendale :
Diagnostic différentiel | Nature | Alerte | Bilan complémentaire |
---|---|---|---|
Pathologie proctologique classique | HémorroïdesFissureSuppurationsDermites érodée/ulcéréesMICIUro-génitales | Rythme de la douleurSuintement, écoulementExamen physique | IRM pelvi-périnéale (quasi systématique) |
Douleurs fonctionnelles « classiques » | Proctalgie fugaceSyndrome des releveurs | Sémiologie | |
Atteintes neurologiques proximales | TumeursSEP | Déficit neurologique | IRM pelvi-périnéale+/- IRM médullaire, voire cérébrale (sur point d’appel) |
Pathologies intriquées | Symptomatologie enrichie | Voir chapitres spécifiques |
Ce dossier a été coordonné par les Dr Amélie SENEAU-LEVESQUE et Dr François PIGOT pour La Revue et Convergences PP.