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Une tumeur rectale sténosante sans histologie tumorale

Un patient de 52 ans, travailleur dans la mécanique, tabagique actif à 30 UPA, divorcé et père d’un garçon de 18 ans, sans antécédent notable, présente depuis plusieurs mois des douleurs abdominales, associées à des rectorragies et des diarrhées. L‘apparition nouvelle d’un syndrome occlusif amène le patient à consulter aux urgences, où le scanner abdomino-pelvien réalisé met en évidence une sténose rectale. Le toucher rectal objective également une sténose non franchissable et douloureuse, située à 3 cm de la marge anale.

Le patient est opéré en urgence avec confection d’une colostomie latérale de dérivation. Les biopsies endoscopiques et écho-endoscopiques réalisées au niveau de la sténose ne mettent pas en évidence d’étiologie à cette dernière. Le bilan est complété par un scanner thoraco-abdominal ainsi qu’une IRM pelvienne (Images 1 et 2), confirmant la présence d’une lésion sténosante du bas rectum associée à une infiltration du méso-rectum avec présence de ganglions, et n’objectivant pas de lésion secondaire.

Image 1. IRM pelvienne en coupe transversale : lésion sténosante rectale circonférentielle, infiltration méso-rectale, adénopathies.
Image 1. IRM pelvienne en coupe transversale : lésion sténosante rectale circonférentielle, infiltration méso-rectale, adénopathies.
Image 2. IRM pelvienne en coupe sagittale : lésion sténosante rectale circonférentielle.
Image 2. IRM pelvienne en coupe sagittale : lésion sténosante rectale circonférentielle.

Après la réalisation de la colostomie de dérivation, et devant l’absence d’étiologie à la sténose, le patient est adressé à un centre hospitalo-universitaire. A 3 mois de l’intervention, le patient a regagné son poids habituel, sans dénutrition associée. Il demeure symptomatique d’un syndrome rectal avec douleurs anales et ténesmes, persistance de rectorragies et d’écoulements mucopurulents. L’anamnèse est négative pour des rapports sexuels à risque.

De nouvelles biopsies sont réalisées (Image 3), ainsi qu’une macrobiopsie par voie transanale. Les analyses histologiques mettent en évidence des granulomes épithélioïdes évoquant une maladie de Crohn. En parallèle, les analyses de biologie moléculaire par PCR se positivent pour une infection à Chlamydia trachomatis. Aucune prolifération tumorale n’est objectivée sur l’ensemble des échantillons.

Image 3. Rectoscopie : sténose supra-anale à 3 cm du canal anal, étendue sur 4 cm, ulcérée, indurée et infranchissable.
Image 3. Rectoscopie : sténose supra-anale à 3 cm du canal anal, étendue sur 4 cm, ulcérée, indurée et infranchissable.

A la lumière de ces résultats, cette rectite basse, circonférentielle et sténosante semble d’origine infectieuse et non inflammatoire. Le diagnostic de lymphogranulomatose vénérienne chronique à Chlamydia est retenue (maladie de Nicolas Favre). Un bilan des infections sexuellement transmissibles est prélevé : sérologies VIH, syphilis, VHB et VHC. Ce dernier s’avère positif pour une co-infection syphilitique (Treponema pallidum). Après une consultation spécialisée en maladies infectieuses, une antibiothérapie orale par Doxycycline 100 mg 2 fois par jour est instaurée pour une durée de 21 jours, avec une bonne tolérance au traitement (1). En l’absence d’élément permettant de dater l’ancienneté de l’infection à T. pallidum, elle est considérée comme une syphilis tertiaire, dont le traitement a consisté en 3 injections IM de 2.4 MU de benzathine benzyl pénicilline (1). Le suivi sérologique a confirmé par la suite la guérison.

Lors de la réévaluation clinique à 3 mois de la fin du traitement, le patient ne rapporte plus de symptômes rectaux. En revanche, la sténose rectale demeure infranchissable au toucher rectal. A 1 mois, une dilatation endoscopique est réalisée, permettant secondairement le rétablissement de continuité digestive avec fermeture de la colostomie.

Actuellement, le patient rapporte un transit comparable à son état antérieur, ne présente plus de syndrome rectal, et n’a pas développé de complication en lien avec sa colostomie temporaire.

Take home message

  • Devant une rectite jamais explorée, avoir des réflexes systématiques :
    1. Écouvillonnage rectal pour recherche PCR de chlamydia, gonocoque et HSV
    2. Interrogatoire et examen clinique des muqueuses (génitale, rectale, buccale)
    3. Les rectites infectieuses sont le plus souvent de forme bénigne, mais il existe des formes bruyantes et/ou localement très inflammatoires
  • Toute infection sexuellement transmissible (IST) impose :
    1. La recherche d’autres IST : sérologies VIH, syphilis, VHB et VHC selon le contexte
    2. Le dépistage et traitement des partenaires sexuels
    3. Des rapports protégés (préservatifs) jusqu’à guérison
  • Les malades dits « chirurgicaux » peuvent également être « médicaux », ce qui renforce l’intérêt d’une culture proctologique médicale pour les chirurgiens colorectaux

Référence bibliographique

  1. J. Delmont, E. Pichard, S. Jauréguiberry, et al.. e-Pilly TROP Maladies infectieuses tropicales. Alinéa Plus, pp.972, 2012. ⟨hal-03333805⟩