I – La douleur, équilibre entre stimulation et inhibition ?
A – La stimulation
La douleur nociceptive est une douleur associée à un système nerveux fonctionnel, exerçant sa fonction de système d’alarme, face à une lésion tissulaire. Cette douleur est causée par la stimulation directe des nocicepteurs périphériques (terminaisons libres Aet C) ubiquitaires, convergeant vers la corne postérieure de la moelle.
Des contrôles inhibiteurs, médullaires et corticaux, existent afin de contrebalancer les afférences nociceptives.
La plupart du temps il n’y a pas de perception douloureuse car le système est en équilibre, c’est-à-dire que les contrôles inhibiteurs sont fonctionnels et leurs capacités d’action ne sont pas dépassées par les afférences nociceptives. Dans ce cas il n’y a pas de douleur.
Pourtant, Il y a des afférences nociceptives ! Vous par exemple en ce moment alors que vous lisez soit assis, soit allongés, vos capteurs nociceptifs en regard de vos ischions sont probablement activés et déchargent des potentiels d’action dans la corne postérieure du cône médullaire et pourtant vous n’avez pas mal !! et bien c’est par ce que vos contrôles inhibiteurs fonctionnent.
Il en existe quatre sortes en réalité :
B – Les quatre contrôles inhibiteurs
1. Boucle sensitivo-motrice :
Le premier des contrôles inhibiteurs fait appel à une boucle réflexe sensitivomotrice des plus basiques.
Lorsqu’une afférence nociceptive atteint la corne postérieure de la moelle cela active les motoneurones du métamère, entrainant la plupart du temps l’arrêt de la stimulation nociceptive (changements de position sur une chaise, changement de position lorsque l’on dort, retrait de la main du feu…)
C’est très efficace et très reposant pour le cerveau qui n’a pas à intervenir !
2. Le « Gate control » :
Le deuxième est appelé « Gate Control » ou « contrôle du portillon » en français. Le toucher est véhiculé par des fibres nerveuses myélinisées de calibre moyen (A) dont la vitesse de conduction est d’environ 100m/s. En revanche, les fibres conduisant la nociception sont des fibres peu ou pas myélinisées dont la vitesse de conduction est donc bien plus lente (environ 1m/S). Il en résulte que lorsqu’on stimule le toucher d’une zone douloureuse, le tact arrive à la moelle en premier. Il y active alors un interneurone inhibiteur qui va libérer des endorphines sur la synapse de nociception (entre l’axone du premier neurone nociceptif « afférence nociceptive» et le deuxième neurone « faisceau spino-thalamique »). Ceci aura pour effet de diminuer voire de stopper la transmission du message douloureux.
On a tous le réflexe, en effet, de se frotter le tibia que l’on vient de taper violemment contre la table basse du salon… comme cela marche aussi de souffler sur une brûlure…
3. Contrôles inhibiteurs diffus :
Le troisième regroupe ce qu’on appelle les contrôles inhibiteurs diffus induits par la nociception. En clair la stimulation nociceptive entraine la production par l’hypothalamus notamment, de neurotransmetteurs qui seront envoyés via des voies descendantes sur les synapses nociceptives de la moelle afin de bloquer le passage de la substance P. Cela aura pour effet de diminuer ou arrêter le message douloureux.
Ces neurotransmetteurs sont les endorphines, enképhalines, la sérotonine et la noradrénaline. Sa dysfonction explique la co-occurrence aux douleurs chroniques de troubles psycho-émotionnels, de l’humeur allant parfois jusqu’à la dépression. En effet il n’aura échappé à personne que les antidépresseurs étaient fréquemment utilisés pour le traitement des douleurs chroniques. En effet on comprend que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline vont favoriser le fonctionnement des contrôles inhibiteurs descendant. Cela explique à l’inverse pourquoi une douleur chronique quelle qu’en soit la cause évolue le plus souvent vers la dépression.
4. Le cerveau !
Enfin, un quatrième moyen de contrôle est exercé par les fonctions supérieures. La perception de la douleur peut être totalement modulée en diminuant ou en augmentant son aspect désagréable. Les fonctions supérieures sont même capables de bloquer complètement la douleur (hypnose) !
Ainsi la distraction (rappelez-vous avec vos enfants « il s’est envolé le bobo, regarde…en visant un oiseau imaginaire dans le ciel »), la relaxation et la méditation sont des moyens antalgiques très efficaces. Le but recherché à chaque fois est de diriger l’attention ailleurs que sur la douleur.
II – La sensibilisation à la douleur, un déséquilibre
Lorsqu’il y a une affection, une inflammation ou toute autre lésion tissulaire périphérique, les afférences nociceptives dépassent les capacités des contrôles inhibiteurs centraux : il y excès de nociception, il y alors une perception douloureuse à l’étage cérébral.
Comme on l’a vu dans l’article de démembrement (voir Comment aborder les douleurs pelvi-périnéales chroniques ? Un démembrement est-il possible ?), l’excès de nociception peut avoir pour origine un viscère (uro, gynéco, digestif), une structure ostéo-articulaire (coccyx ou thoraco-lombaire), musculaire (piriforme, obturateur interne, élévateurs de l’anus), cutanée ou vasculaire.
Cependant la perception douloureuse peut également résulter d’un déficit des contrôles inhibiteurs. On parle de sensibilisation centrale à la douleur.
Il peut s’agir d’une altération de la perception sensitive (altération du Gate control par un Herpès virus, radiothérapie, chirurgie…), d’un déficit en sérotonine, noradrénaline, endorphines (manque d’activité physique, syndrome dépressif) ou d’une incapacité à défocaliser de la douleur (stress post traumatique, catastrophisme, sentiment d’injustice…).
Dans ces cas, les afférences nociceptives, même minimes sont perçues de la même manière qu’un excès de nociception. Le patient n’a pas de « lésion tissulaire » au sens macroscopique du terme (pas de tumeur, pas d’arthrose, de lichen, d’hémorroïde, de nerf coincé…) mais il perçoit une douleur comme tel !
La sensibilisation centrale à la douleur est la résultante d’une plasticité neuronale (réorganisation physique et chimique du système nerveux central) en réponse à des signaux de douleur répétés ou vécus dans un contexte psycho-émotionnel favorisant (traumatisme émotionnel).
Il en découle des seuils de perception nociceptive abaissés, une diffusion spatiale et temporelle de la douleur.
A l’étage pelviens cela se manifeste par un premier besoin urinaire précoce, une altération de la perception du contenu rectal, une allodynie des muqueuses, des douleurs musculaires diffuses ainsi que des douleurs post-mictionnelles, post-défécatoires et post coïtales.
Même si le diagnostic de sensibilisation pelvienne à la douleur reste un diagnostic d’élimination il existe un score « Score de Convergences PP » qui permet de l’établir facilement en pratique clinique courante.
III – Conclusion
Pour éviter à ces patients une errance thérapeutique longue et épuisante il convient de se rappeler que lorsque le patient ne semble « rentrer dans aucune case », la sensibilisation centrale à la douleur est souvent l’explication à leur souffrance. Au-delà de donner une explication au patient sur l’origine de leurs douleurs, cela ouvre le champ à des thérapeutiques adaptées et à une prise en charge dédiée.
Ce dossier a été coordonné par les Dr Amélie SENEAU-LEVESQUE et Dr François PIGOT pour La Revue et Convergences PP.