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Une nouvelle arme thérapeutique dans le traitement des fistules anales de la maladie de Crohn ?

Efficacy and Safety of Filgotinib for the Treatment of Perianal Fistulising Crohn’s Disease [DIVERGENCE 2]: A Phase 2, Randomised, Placebo-controlled Trial

Reinisch W, Colombel JF, D’Haens GR, Rimola J, Masior T, McKevitt M, Ren X, Serone A, Schwartz DA, Gecse KB.

J Crohns Colitis. 2024 Jun 3;18(6):864-874.

Mots clés

Fistules anales, maladie de Crohn, anti-JAK, filgotinib

Appréciation

Les lésions ano-périnéales de la maladie de Crohn sont fréquentes et peuvent atteindre jusqu’à 1 patient sur 3 dans certaines séries. Leur prise en charge est complexe du fait d’une double approche médico-chirurgicale. D’ailleurs, la plupart des patients sont opérés à de multiples reprises malgré un recours de plus en plus fréquent à des stratégies agressives dès le départ (top-down). Ceci est en partie lié à un panel thérapeutique limité. En effet, les seuls traitements qui ont bénéficié d’essais spécifiques avec un haut niveau de preuve sont l’infliximab qui permet d’obtenir une fermeture des fistules dans 36 % des cas et l’injection de cellules souches mésenchymateuses allogéniques dans 57 % des cas chez des patients en rémission luminale et en particulier rectale. Beaucoup de patients se retrouvent donc dans une situation d’impasse thérapeutique et peuvent nécessiter une stomie de dérivation qui ne se soldera d’un rétablissement de la continuité que dans 20 % des cas. La recherche de nouvelles stratégies thérapeutiques et de nouveaux traitements est en conséquence au cœur des préoccupations des praticiens qui s’occupent de ces malades.

Dans ce sens, nous avons des études post-hoc et/ou en vraie vie d’autres molécules comme le védolizumab et l’ustékunimab mais leur efficacité semble limitée et elles sont désormais davantage utilisés en combiothérapie avec un anti-TNF que seules chez des patients ayant des lésions ano-périnéales sévères et réfractaires.

Les petites molécules (anti-JAK) viennent d’arriver sur le marché et ont l’AMM dans le traitement de la rectocolite ulcéro-hémorragique (RCH) à l’exception de l’upadacitinib qui peut être prescrit dans la maladie de Crohn. Dans les analyses post-hoc de ces molécules, il y a un signal en faveur d’une certaine efficacité dans les lésions ano-périnéales. En effet, l’étude de phase 2 FITZROY suggère que le filgotinib (anti-JAK 1 sélectif) pourrait avoir une efficacité dans la maladie de Crohn luminale et ano-périnéale. Toutefois, pour l’instant en France, cette molécule n’est remboursée depuis novembre 2022 que dans le traitement de la RCH réfractaire.

Ce papier rapporte les résultats de l’étude DIVERGENCE 2, essai de phase 2 randomisé en double aveugle versus placebo, mené dans 27 centres dans 9 pays (Autriche, Allemagne, Belgique, Canada, France, Hongrie, Italie, UK et USA) entre 2017 et 2021. Il a inclus des patients ayant une maladie ano-périnéale fistulisante en échec d’au moins un anti-TNF. En cas de séton en place, celui-ci était retiré 14 jours avant la randomisation. Tous les traitements ont été arrêtés au moins 8 semaines avant la randomisation sauf le védolizumab qui pouvait être poursuivi durant l’étude et a été proposé comme traitement de rattrapage à 14 semaines chez les patients en échec thérapeutique luminal. Les patients ont été randomisés en 3 bras 2:2:1 pour recevoir du filgotinib 200 mg, 100 mg ou placebo. Ils étaient stratifiés selon la complexité de la fistule, la sévérité de l’atteinte rectale, l’exposition précédente à un anti-TNF et le traitement par védolizumab.

La réponse combinée était évaluée à 24 semaines et définie par une fermeture d’au moins un des orifices externes fistuleux sans collection de plus de 1 cm à l’IRM de contrôle. La rémission complète combinée était définie par la fermeture de l’ensemble des orifices externes fistuleux sans aucune collection visible en IRM.

Sur les 75 patients prévus, seulement 57 ont été inclus en raison de la période de la COVID (défaut de recrutement) : 17 dans le groupe filgotinib 200, 25 dans le groupe filgotinib 100 et 15 dans le groupe placebo. La fistule était complexe dans 91,2 % des cas et seuls 7 % des patients étaient sous védolizumab.

La réponse combinée à 24 semaines était numériquement plus importante dans le groupe filgotinib 200 (47,1 %) versus 29,2 % dans le groupe filgotinib 100 et 25 % dans le groupe placebo. Les résultats étaient similaires pour la rémission combinée (47,1 % versus 25 % versus 16,7%). Le temps de réponse médian était rapide de 15 jours dans le bras 200 versus 16 jours dans le bras 100 et 36 jours dans le bras placebo. La baisse moyenne du PDAI était plus importante dans le bras filgotinib 200 (-4,4 (3,5)) versus -3,5 (1,9) dans le bras filgotinib 100 versus (-0,4 (2,1)) dans le bras placebo. La durée moyenne du maintien du traitement était plus longue dans le groupe filgotinib 200 (22,9 semaines versus 19,5 semaines versus 18,3 semaines).

Des effets indésirables infectieux sévères ont été notés dans 11,8 % des cas seulement dans le groupe filgotinib 200 (bronchite sévère et infection COVID). Aucun cas d’infection herpétique n’a été signalé.

Il s’agit du premier essai contrôlé randomisé évaluant l’efficacité et l’innocuité des anti-JAK dans le traitement spécifique des lésions ano-périnéales de la maladie de Crohn chez des patients déjà exposés et en échec des anti-TNF avec plus de 90 % de fistules complexes et 50 % de rectites modérées à sévères.

Toutefois, les conclusions à tirer de cette étude doivent être prises avec des pincettes en raison de sa faible puissance, du nombre non négligeable de patients retirés de l’étude à cause d’une poussée intercurrente de leur maladie luminale ou de perte de vue. Ceci étant dit, il y a un signal positif en faveur du filgotinib 200 mg avec un profil de tolérance tout à fait acceptable. Nous espérons avoir des études plus concluantes prochainement pour conforter nos impressions.

Par ailleurs, cette étude met en exergue la difficulté à mener des études de bonne qualité dans les lésions ano-périnéales de la maladie de Crohn (difficulté de recrutement, profils différents des lésions, prise en charge médico-chirurgicale en plusieurs temps, critères et timing de l’évaluation de la réponse non consensuels, etc…).

A suivre…