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Trouble de la statique pelvienne : faut-il prendre en charge le patient à 1, à 2 ou à 3 spécialiste(s) ?

Trois spécialistes chirurgicaux se partagent la chirurgie du pelvis : les urologues, les gynécologues et les chirurgiens digestifs. C’est pourquoi, chacun d’eux peut être amené à recevoir en consultation des patientes principalement, parfois des patients, atteints d’un trouble de la statique pelvienne. Ce trouble peut être uni-compartimental, se limitant alors au territoire d’expertise du spécialiste sollicité, mais il est parfois multi-compartimental s’étendant alors sur le territoire anatomique de plusieurs spécialistes. Savoir qui doit prendre en charge ces patients est une question essentielle, sans réponse évidente. Un spécialiste peut-il tout faire seul s’il est suffisamment expert en la matière, ou bien faut-il recourir systématiquement à une prise en charge multidisciplinaire ? Ce qui est certain, c’est que l’arrêté ministériel du 22 septembre 2021 a mis de l’ordre dans les pratiques en stipulant ceci : « La proposition de pratiquer l’acte [la pose d’implants de suspension destinés à traiter un prolapsus pelvien chez la femme par voie chirurgicale haute] doit être faite en concertation par une équipe pluridisciplinaire de pelvi-périnéologie après avoir envisagé toutes les solutions de prise en charge du prolapsus. Cette équipe pluridisciplinaire doit inclure au minimum un médecin spécialisé en urologie, un médecin spécialisé en gynécologie-obstétrique, et en tant que de besoin un médecin ou un masseur kinésithérapeute spécialiste de la réadaptation des troubles de la statique pelvienne et, en cas de troubles recto-anaux invalidants, un médecin spécialisé en gastro-entérologie ou un médecin spécialisé en chirurgie viscérale et digestive ». L’obligation réglementaire est donc claire et précise. Mais qu’en est-il sur le terrain ? Comment cet arrêté a-t-il impacté les pratiques ? Alors que les dossiers doivent être discutés à plusieurs spécialistes en amont de la chirurgie, les opérations chirurgicales sont-elles conduites par un seul chirurgien ou de manière collégiale à plusieurs spécialistes ? Deux éminents spécialistes de la chirurgie pelvi-fonctionnelle du CHU de Nantes, le Dr Thibault Thubert, gynécologue et le Pr Guillaume Meurette, chirurgien digestif ont accepté de répondre à cette question : faut-il prendre en charge le patient atteint d’un trouble de la statique pelvienne à 1, 2 ou 3 spécialiste(s) ?

Le point de vue du gynécologue : Dr Thibault Thubert

Pour ma part, j’ai vécu deux pratiques différentes au cours de ma carrière. Initialement, et surtout il y a quelques années, j’étais dans un centre où nous, les gynécologues, nous faisions tout au bloc opératoire, le compartiment antérieur, le compartiment moyen et le compartiment postérieur. L’attitude était très interventionniste pour le traitement chirurgical du prolapsus avec l’association d’emblée d’une bandelette antérieure et d’une bandelette postérieure en plus d’une éventuelle hystérectomie subtotale si cette dernière était indiquée. Le chirurgien gynécologue prenait donc en charge en un temps l’ensemble des étages impliqués dans le trouble de la statique pelvienne et sans l’aide d’un chirurgien issu d’une autre spécialité en l’absence de difficultés spécifiques chez les patientes. Cette pratique, qui remonte maintenant à plusieurs années, était antérieure à la prise de conscience collective des risques de surtraitement. En effet, plusieurs publications scientifiques robustes ont prouvé que plus on met du matériel prothétique, plus le risque de complications et notamment d’exposition prothétique est important. Suite à ces données, nous avons collégialement modifié nos pratiques ; nous ne mettons plus de prothèses postérieures à titre systématique et préventif en l’absence d’atteinte de l’étage postérieur. Les patientes opérées d’une chirurgie du compartiment pelvien antérieur sont réévaluées systématiquement en post-opératoire afin de déceler l’éventuelle apparition secondaire d’un prolapsus de l’étage postérieur induite par la mise en place de la bandelette antérieure. Dans ce cas alors, nous proposons une seconde opération par voie basse cette fois-ci pour réaliser une plicature du fascia prérectal, ce qui permet d’éviter l’insertion d’une nouvelle prothèse réduisant le risque de complication à long terme. Cette intervention peut parfaitement être réalisée par un chirurgien gynécologue en dehors de situations particulières. À noter cependant, qu’en tant que gynécologue, nous ne traitons que la rectocèle et non le prolapsus rectal que nous référons bien entendu aux chirurgiens digestifs. Un autre cas particulier pour lequel je demande systématiquement avis auprès d’un chirurgien digestif est celui des patientes qui me rapportent des troubles de la défécation associés à leur trouble de la statique pelvienne. Dans cette situation, je prescris toujours une manométrie rectale, une déféco-IRM et j’adresse alors la patiente à mes collègues chirurgiens digestifs pour discuter l’indication chirurgicale et éventuellement proposer une intervention chirurgicale en double équipe si nécessaire.

En résumé, au bloc opératoire en l’absence des quelques situations spécifiques qui sont le prolapsus rectal et les troubles de défécation, nous prenons en charge l’étage antérieur et postérieur sans solliciter d’autres spécialités chirurgicales. Je vois bien que cette pratique n’est pas une généralité puisque par exemple certains urologues que je connais bien, réparent l’étage antérieur, mais font toujours appel aux chirurgiens digestifs au bloc opératoire pour l’étage postérieur.

Afin de prendre en charge au mieux les patients au bloc opératoire, je suis convaincu que deux choses priment : premièrement être expert de la chirurgie des troubles de la statique pelvienne qu’on soit urologue, chirurgien digestif ou gynécologue et deuxièmement évaluer correctement l’indication chirurgicale en pré-opératoire. Si ces deux conditions sont remplies, il est tout à fait envisageable d’opérer les patients sans faire appel à plusieurs équipes chirurgicales issues de spécialités différentes. Cette attitude ne signifie pas faire cavalier seul dans la prise en charge de ces patients. Depuis quelques mois, la discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire de toutes les patientes prises en charge pour un trouble de la statique pelvienne en vue d’une chirurgie est une obligation réglementaire. Ainsi, toutes les patientes que j’opère sont évaluées durant ces réunions au sein desquelles mes collègues chirurgiens digestifs et urologues sont présents et apportent leur contribution à la discussion sur l’indication opératoire et sur les modalités de la chirurgie.

Le point de vue du chirurgien digestif : Pr Guillaume Meurette

La chirurgie des prolapsus des organes pelviens c’est avant tout une discussion en amont sur l’indication opératoire plus que sur la technique opératoire en elle-même. Concernant l’acte chirurgical, je ne suis pas choqué qu’il puisse être fait par un seul chirurgien spécialiste de la chirurgie pelvi-fonctionnelle, qu’il soit urologue, gynécologue ou encore chirurgien digestif. Je ne crois pas indispensable d’être plusieurs chirurgiens issus de spécialités différentes en dehors de situations particulières :

  • En cas de récidive, ma vision est différente et je recommande alors une approche pluridisciplinaire au bloc opératoire dans ces situations complexes.
  • Dans les cas également d’atteintes multi-compartimentales complexes (atteinte fonctionnelle et douloureuse, dysfonction urinaire et digestive) il faut aussi pouvoir proposer une chirurgie associant plusieurs spécialistes, mais ce cas spécifique représente moins de 20 % des patients opérés d’un trouble de la statique pelvienne dans ma pratique.
  • Enfin, en cas de nécessité de gestes spécifiques associés qui justifient d’une expertise d’organe : un geste sur l’urètre ou sur les uretères justifie un urologue, une hystérectomie subtotale associée requiert un gynécologue et un prolapsus rectal ou une procidence rectale impose une expertise colo-proctologique. Mais ces cas représentent un effectif limité parmi les patientes et patients que nous prenons en charge chirurgicalement pour un trouble de la statique pelvienne.

Depuis la réglementation émise en septembre 2021 qui impose la réalisation d’une réunion de concertation pluridisciplinaire pour discuter d’une éventuelle chirurgie pour un prolapsus des organes pelviens incluant les spécialistes des différents organes, nous n’avons plus le droit de poser seul une indication opératoire sans que notre dossier n’ait été évalué par les différents spécialistes. Cet arrêté ministériel constitue un réel point de rupture avec les pratiques antérieures de nombreux chirurgiens amenés à opérer les prolapsus pelviens puisque les urologues, les gynécologues et les colo-proctologues opéraient chacun de leur côté les prolapsus pelviens impliquant leur territoire le plus souvent sans discussion pluridisciplinaire. La volonté d’unifier les pratiques est à mon sens logique. Depuis des années, on entend certains spécialistes affirmer que les urologues, les gynécologues et les chirurgiens colo-proctologues ne voient pas les mêmes types de troubles de la statique pelvienne, mais en réalité ce sont les mêmes malades que nous opérons. Il est donc pertinent que la discussion en amont se fasse de manière pluridisciplinaire avec les compétences de chacun. Il est certain que cette nouvelle réglementation chamboule les pratiques au quotidien. Dans notre centre par exemple, nous avions l’habitude avant la mise en application de la nouvelle réglementation de discuter avec nos collègues des autres spécialités les dossiers complexes, mais on ne présentait pas tous les dossiers. Il faut donc que tous les centres experts en chirurgie pelvi-fonctionnelle s’organisent autour de cette RCP, car le nombre de dossiers à analyser par semaine est conséquent en centre expert.

En conclusion, l’indication opératoire doit toujours être discutée à 3 tandis que l’intervention chirurgicale peut dans la majorité des cas être réalisée par un seul chirurgien, à partir du moment où il présente une expertise dans chirurgie pelvi-fonctionnelle et où il sait reconnaitre les cas spécifiques où il aura besoin au bloc opératoire de l’aide précieuse de ses collègues.