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Traitement néoadjuvant total de l’adénocarcinome du rectum localement avancé : victoire française par KO !

Locoregional Failure During and After Short-course Radiotherapy followed by Chemotherapy and Surgery Compared to Long-course Chemoradiotherapy and Surgery – A Five-year Follow-up of the RAPIDO Trial

Dijkstra EA, Nilsson PJ, Hospers GAP, Bahadoer RR, Meershoek-Klein Kranenbarg E, Roodvoets AGH, Putter H, Berglund Å, Cervantes A, Crolla RMPH, Hendriks MP, Capdevila J, Edhemovic I, Marijnen CAM, van de Velde CJH, Glimelius B, van Etten B; and collaborative investigators.

Ann Surg 2023

Mots clés

Cancer du rectum, radiochimiothérapie néoadjuvante, réponse complète, récidive locale

Appréciation

Cet article rapporte les résultats à long terme (5 ans) de l’essai randomisé de phase 3 RAPIDO, qui étudiait une stratégie novatrice de traitement néoadjuvant pour la prise en charge de l’adénocarcinome du rectum localement avancé. Afin de bien comprendre les enjeux et l’impact de cette publication, et avant d’en détailler les méthodes et résultats, un petit récapitulatif s’impose probablement…

En 2021, 2 essais randomisés majeurs, PRODIGE 23 et RAPIDO, ont été publiés et ont littéralement bouleversé les standards du traitement néoadjuvant pour le cancer du rectum. Nous en avions parlé
(pour les plus assidus d’entre vous) dans la procto-alerte numéro 45. Ces 2 essais comparaient une stratégie de traitement néoadjuvant totale, associant une chimiothérapie systémique à l’irradiation pelvienne, au classique CAP501.

Dans l’essai Hollandais RAPIDO, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, le schéma proposé utilisait une chimiothérapie de consolidation et associait donc une radiothérapie courte, de 25 Gy sur un total de 5 jours, suivie d’une chimiothérapie à base d’oxaliplatine (CAPOX ou FOLFOX)2. Les malades inclus étaient des malades à très haut risque puisqu’ils devaient présenter au moins un des critères suivants : cT4, cN2, présence d’EMVI (extramural vascular invasion), ou avec marge circonférentielle prévisible ≤ 1 mm. Bien entendu, aucun de ces malades ne devait être porteur de métastases. Au décours de ce traitement, l’ensemble des patients étaient opérés d’une proctectomie avec exérèse totale du mésorectum. Les résultats à 3 ans de cette stratégie ont été publiés dans le Lancet Oncology en 20212 et, pour cause, ils étaient particulièrement extraordinaires ! En effet, les 462 patients randomisés dans le groupe RAPIDO présentaient un taux d’échec du traitement lié à la maladie (défini par une récidive locorégionale, une récidive métastatique, une 2 e localisation primitive colorectale, ou la mort) significativement plus faible que les 450 patients randomisés dans le groupe CAP50 : 23,7% contre 30,4% ; p=0,019). Cette différence significative était principalement expliquée par une diminution du risque de récidive métastatique à 3 ans (20,0% dans le groupe RAPIDO contre 26,8% dans le groupe CAP50 ; p=0,0048), puisque le taux de récidive locale à 3 ans ne présentait pas de différence significative. Enfin, le taux de réponse histologique complète au traitement néoadjuvant (ypT0N0) doublait littéralement puisqu’il passait de 14% dans le groupe CAP50 à 28% dans le groupe RAPIDO.

À l’inverse, le schéma PRODIGE 23 comportait une chimiothérapie d’induction par FORFIRINOX (6 cycles) suivie, 1 à 3 semaines plus tard, par une radiochimiothérapie type CAP50, associant 50 Gy en 5 semaines et une chimiothérapie orale par capecitabine, chez les patients cT3-4 non métastatiques3. L’ensemble des patients étaient opérés d’une proctectomie radicale à 6-8 semaines de la fin de l’irradiation pelvienne. Cet essai était un travail français, porté par Thierry Conroy et le groupe PRODIGE. Ses résultats ont eux aussi été publiés dans le Lancet Oncology et rapportaient une survie sans maladie à 3 ans (76% contre 69% ; p=0,034) et une survie sans métastases à 3 ans (79% contre 72% ; p=0,017) significativement plus élevées chez les patients ayant été traités par un schéma PRODIGE 23 que chez les traités par un CAP50 seul. Il existait même, ce qui est assez rare pour être noté quand on parle de traitement néo-adjuvant du cancer du rectum, une tendance à une amélioration de la survie globale à 3 ans dans le groupe « PRODIGE 23 » avec une p-value à la limite de la significativité statistique à 0,077.

Les schémas PRODIGE 23 et RAPIDO ont donc tous les deux été considérés dès 2021 comme les nouveaux standards de traitement néoadjuvant. Aucune donnée comparant ces 2 stratégies n’était disponible et chaque RCP décidait au cas par cas de laquelle choisir, principalement en fonction de la tolérance prévisible. Cette « compétition » a alimenté bon nombre de soirées de congrès, où on pouvait assister à de virulentes batailles rangées entre partisans de l’équipe hollandaise et ceux de l’équipe française, sans bien sûr qu’aucun vainqueur ne puisse être couronné…

L’article d’aujourd’hui a finalement probablement sonné le glas de cette empoignade fratricide… en éliminant la Hollande par KO technique. En effet, il rapporte les résultats à 5 ans de l’essai RAPIDO. Et après un suivi médian de 5,6 ans, il apparaît que le taux de récidive locale est en fait significativement plus élevé chez les patients du groupe RAPIDO que les patients du groupe CAP50 (12% contre 8% ; p=0,07) !!!

Cette observation pourrait paraitre étonnante et la cause en est d’ailleurs encore mal élucidée. Il est possible que le concept même de chimiothérapie de consolidation soit à l’origine du problème puisqu’il impose une augmentation du délai entre la fin de l’irradiation pelvienne et la chirurgie. Ceci pourrait être à l’origine d’une augmentation de la difficulté technique de la chirurgie4 ou à une augmentation du risque de résurgence tumorale chez les répondeurs incomplets. Reste que, dans l’article, le schéma RAPIDO est identifié en analyse multivariée comme un facteur de risque indépendant de récidive locale et il est donc possible que le concept même de ce schéma soit une authentique fausse bonne idée.

Le schéma PRODIGE 23 va donc devenir le schéma de référence pour la prise en charge néoadjuvante du cancer du rectum localement avancé. À moins bien sûr qu’une mauvaise surprise ne vienne émailler la publication de ses résultats à 5 ans…

A suivre…

Références bibliographiques

  1. Lakkis Z, Manceau G, Bridoux V, Brouquet A, Kirzin S, Maggiori L, et al. Management of rectal cancer: the 2016 French guidelines. Colorectal Dis 2017; 19: 115-122.
  2. Bahadoer RR, Dijkstra EA, van Etten B, Marijnen CAM, Putter H, Kranenbarg EM, et al. Short-course radiotherapy followed by chemotherapy before total mesorectal excision (TME) versus preoperative chemoradiotherapy, TME, and optional adjuvant chemotherapy in locally advanced rectal cancer (RAPIDO): a randomised, open-label, phase 3 trial. Lancet Oncol 2021; 22: 29-42.
  3. Conroy T, Bosset JF, Etienne PL, Rio E, Francois E, Mesgouez-Nebout N, et al. Neoadjuvant chemotherapy with FOLFIRINOX and preoperative chemoradiotherapy for patients with locally advanced rectal cancer (UNICANCER-PRODIGE 23): a multicentre, randomised, open-label, phase 3 trial. Lancet Oncol 2021; 22: 702-715.
  4. Lefevre JH, Mineur L, Kotti S, Rullier E, Rouanet P, de Chaisemartin C, et al. Effect of Interval (7 or 11 weeks) Between Neoadjuvant Radiochemotherapy and Surgery on Complete Pathologic Response in Rectal Cancer: A Multicenter, Randomized, Controlled Trial (GRECCAR-6). J Clin Oncol 2016; 34: 3773-3780.