La sécheresse sévit tous les ans, les sols et les forêts brûlent et souffrent, tout comme les derrières de nos patients. Ils sont de plus en plus nombreux à nous consulter pour des problèmes de prurit anal. Au-delà des classiques règles hygiéno-diététiques préconisées (l’alimentation, les types de sous-vêtements, les protections hygiéniques ou encore les produits lavants pourraient d’ailleurs à eux seuls soulever tout un tas de considérations et débats écologiques), la question de la pertinence d’utiliser tel ou tel type de papier toilette ou de ne pas en utiliser du tout revient régulièrement.
Nombre de patients confient s’être intéressés, voire avoir déjà adopté le concept de bidet japonais (ou toilettes japonaises), moins ringard, dont les publicités se font de plus en plus présentes sur les réseaux sociaux.
Les toilettes japonaises ont une histoire fascinante qui remonte à plusieurs décennies. Cette technologie a évolué pour devenir une partie intégrante de la vie quotidienne au Japon, où plus de 70% des foyers sont désormais équipés de ce type de WC, tout comme bon nombre de toilettes publiques. Les toilettes japonaises modernes, connues pour leurs caractéristiques sophistiquées telles que le lavage automatique, le séchage à l’air, et même la détection de mouvement, ont une origine qui remonte aux années 1950. L’invention initiale du bidet remonte au XVIIe siècle en France, ensuite c’est au Japon que cette idée a été développée et perfectionnée au fil du temps.
A l’aube du XXème siècle, le fondateur de la marque TOTO qui naît en 1917 revient d’un voyage en Europe et, inspiré, il décide de moderniser les toilettes au Japon, à l’époque encore habituellement installées en plein air et sans système d’égouts.
Ce n’est que dans les années 80 qu’ils ont commencé à introduire des toilettes électroniques avec des fonctionnalités avancées, comme le contrôle à distance et la personnalisation des paramètres. En se concentrant initialement sur la vente aux terrains de golf, TOTO a ciblé des hommes d’affaires qui, très vite, ont été séduits. Depuis lors, ces toilettes ont connu une adoption généralisée et sont devenues un symbole de la modernité et du confort, mais pas à n’importe quel prix ! Un modèle standard revenant à environ 2500 $. Les WC japonais nouvelle génération sont connectés et ils seraient même capables d’analyser la composition des selles …
Afin de démocratiser leur utilisation en reprenant la base du concept, le jet d’eau, il existe désormais des modèles simplifiés développés par plusieurs entreprises (dont certaines françaises, cocorico !) et proposés au prix d’une centaine d’euros.
Leur impact environnemental est à souligner, les toilettes japonaises offrant une alternative plus durable. Avec leurs fonctions de lavage et de séchage, elles réduisent considérablement la demande de papier toilette. Selon une étude menée par l’Association Japonaise des Toilettes, l’utilisation généralisée des toilettes japonaises a entraîné une diminution de près de 80% de la consommation de papier toilette par personne, soit plus de 20 kilogrammes de papier par personne par an. Il faudrait par ailleurs jusqu’à 178 litres d’eau pour fabriquer 1 seul rouleau.
Une chasse d’eau classique équivaut en moyenne à 10 litres d’eau par utilisation. À titre de comparaison, les WC japonais se vantent de ne consommer désormais que 3 à 4L par utilisation, les versions simplifiées économiques n’utilisent, elles, qu’en moyenne 0,6 litres par passage, soit 17088 litres d’eau par an qui sont économisés.
De plus, certaines toilettes japonaises intègrent des systèmes de recyclage ou d’optimisation de l’eau, tel le modèle « Tornado flush » où l’eau est libérée par le côté de la cuvette, ce qui la fait tourbillonner naturellement autour de la cuvette, réduisant ainsi la quantité nécessaire de cette ressource précieuse. Selon le Ministère de l’Environnement japonais, ces systèmes ont permis une réduction d’environ 30% de la consommation d’eau par rapport aux toilettes traditionnelles.
Indépendamment de son retentissement évident en termes de pollution, le papier toilette serait par ailleurs responsable du rejet important de substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS), substances chimiques polluantes et extrêmement persistantes entrant dans les systèmes de traitement des eaux usées dont les taux environnements préoccupants sont dénoncés par l’Anses et appuyés par une étude américaine publiée en 2023 portant sur la caractérisation du papier hygiénique et des boues d’épuration afin d’explorer l’ampleur de la charge potentielle en PFAS du papier hygiénique dans les systèmes d’épuration 1.
Malheureusement, en France comme partout en Europe, le PQ a encore le vent en poupe ; le roi du papier toilette, le géant suédois SCA (avec sa principale usine française à Gien, dont sortent 2 millions de rouleau par jour sept jours sur sept), a vu son action en Bourse croitre de 600% depuis son entrée.
Enfin, sur le plan purement médical, certaines études ont essayé d’évaluer les implications pour la santé liées à l’utilisation des toilettes japonaises, mais les données sont encore pauvres.
Une étude d’enquête publiée par une équipe japonaise en 2016 2 s’intéressait à l’utilisation des toilettes japonaises par les habitants de logements communautaires et explorait sa corrélation avec le prurit anal. Il en ressort sur un total de 4 963 personnes interrogées, que 55 % d’entre elles ont utilisé ce type de WC avant ou après la défécation, dont au moins 30 % d’utilisateurs avant la défécation (principalement des patients constipés, déclarant s’en servir sur le même principe qu’un lavement) pour faciliter l’exonération. Les hommes plutôt que les femmes et les personnes de ≥50 ans plutôt que les jeunes utilisaient plus activement ce type de WC. Le prurit anal était associé au sexe masculin, à l’âge jeune, au rinçage de l’anus avant la défécation, à l’utilisation d’eau chaude et à la présence d’une incontinence anale (biaisant probablement ce résultat).
L’étiologie du prurit anal rapportée par les utilisateurs des WC japonais n’a pas été cliniquement identifiée dans cette étude, et il n’est pas certain que ce prurit soit un résultat de l’utilisation des toilettes japonaises ou la raison même de leur utilisation.
Dans une revue systématique de la littérature portant sur l’utilisation du bidet en comparaison à l’efficacité des bains de siège chez les patients atteints de pathologies périanales bénignes (prurit anal, fissures, pathologies hémorroïdaires) 3, deux essais prospectifs et une étude transversale ont montré que l’utilisation habituelle du bidet n’avait pas d’impact sur la probabilité de développer des symptômes hémorroïdaires, deux essais prospectifs et une étude transversale ont même conclu que son utilisation habituelle peut augmenter le risque de développer un prurit anal. Une méta-analyse n’avait pas été réalisée en raison du nombre limité d’études disponibles et de leur qualité variable.
Ces résultats vont cependant dans le sens d’un phénomène baptisé « Washlet syndrome » par un groupe de proctologues japonais, suggérant que l’utilisation répétée d’un jet d’eau à haute pression sur l’anus entrainerait une propreté excessive et favoriserait l’adhésion de bactéries pathogènes dans un environnement pro-inflammatoire 4. Actuellement, il n’existe aucun avantage evidence-based à l’utilisation de ces WC.
En conclusion, l’impact environnemental positif de ces toilettes n’est plus à prouver, mais les avantages pour la santé et le confort des patients, bien que paraissant intuitifs, doivent être balancés en insistant sur les risques liés à une hygiène excessive, et l’absence de bénéfice prouvé sur les symptômes en lien avec la plupart des pathologies proctologiques bénignes.
A débattre avec vos patients, et à méditer… sur vos WC !
Sources et références
- https://eu.toto.com/fr/
- https://edition.cnn.com/style/article/toto-on-japan/index.html
- https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/07/16/le-roi-du-papier-toilette-cheri-des-marches_3448269_3234.html
- https://www.anses.fr/fr/content/pfas-des-substances-chimiques-dans-le-collimateur#:~:text=Les%20per%20et%20polyfluoroalkyl%C3%A9es%2C%20plus,incendie%2C%20emballages%20alimentaires%2C%20etc
- Per- and Polyfluoroalkyl Substances in Toilet Paper and the Impact on Wastewater Systems. Jake T. Thompson, Boting Chen, John A. Bowden, and Timothy G. Townsend
Environmental Science & Technology Letters 2023 10 (3), 234-239
DOI: 10.1021/acs.estlett.3c00094 ↩︎ - Tsunoda A, Takahashi T, Arika K, Kubo S, Tokita T, Kameda S. Survey of electric bidet toilet use among community dwelling Japanese people and correlates for an itch on the anus. Environ Health Prev Med. 2016 Nov;21(6):547-553. doi: 10.1007/s12199-016-0578-3. Epub 2016 Oct 6. PMID: 27714679; PMCID: PMC5112206 ↩︎
- Baig Z, Abu-Omar N, Harington M, Gill D, Nathan Ginther D. Be Kind to Your Behind: A Systematic Review of the Habitual Use of Bidets in Benign Perianal Disease. Evid Based Complement Alternat Med. 2022 May 31; 2022:1633965. doi: 10.1155/2022/1633965. PMID: 35685735; PMCID: PMC9173983 ↩︎
- Fujiie Clinic (Proctology) – Take care of the hips tenderly – For the « Washlet » users] (in Japanese). ↩︎