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Récidive postopératoire de la maladie de Crohn : et si le chirurgien ne pouvait définitivement pas y faire grand-chose ?…

Effect of mesenteric sparing or extended resection in primary ileocolic resection for Crohn’s disease on postoperative endoscopic recurrence (SPICY): an international, randomised controlled trial

van der Does de Willebois EML, Bellato V, Duijvestein M, van der Bilt JDW, van Dongen K, Spinelli A, D’Haens GR, Mundt MW, Furfaro F, Danese S, Vignali A, Bemelman WA, Buskens CJ; SPICY collaborator group.

Lancet Gastroenterol Hepatol 2024

Mots clés

Maladie de Crohn, récidive, chirurgie

Appréciation

Cet article rapporte les résultats de l’essai randomisé de phase 3 SPICY, qui étudiait l’impact d’une exérèse extensive du mésentère lors de la chirurgie de la maladie de Crohn (MC) iléale terminale sur le risque de récidive postopératoire.

La récidive postopératoire de la MC est extrêmement fréquente, puisqu’elle va être diagnostiquée chez 60 à 80% des patients lors d’une endoscopie de suivi 1. Le mécanisme physiopathologique et les facteurs de risque de cette récidive sont très loin d’être résolus mais il apparaît que, dans la plupart des cas, l’inflammation est située sur l’intestin grêle d’amont, juste au-dessus de la zone anastomotique. Cette inflammation postopératoire récidivante peut devenir très problématique puisqu’elle peut être à l’origine d’une récidive des symptômes et des complications liées à la MC, voire nécessiter une (ou plusieurs…) nouvelle intervention chirurgicale, pouvant largement péjorer la qualité de vie des malades. Dans ce contexte, des stratégies de traitement médical postopératoire prophylactique ont été proposées mais, là encore, avec un impact significatif sur la qualité de vie. Les chirurgiens ont donc, depuis « toujours », cherché une technique optimale visant à réduire au maximum ce risque de récidive.

Une des premières choses qui saute aux yeux, lors de la réalisation d’une intervention chirurgicale pour MC, est le caractère tout à fait particulier du mésentère dans cette maladie. En effet la graisse mésentérique dans la MC est, la plupart du temps, très épaissie, inflammatoire, et semble venir engainer l’intestin en réalisant le classique aspect de creeping fat décrit par les anglo-saxons 2. Ces constations ont amené certains chirurgiens à se poser la question de leur caractère causal ou conséquentiel vis-à-vis de l’inflammation luminale : et si la MC trouvait son origine non pas dans le tube digestif mais dans le méso ? Cette idée avait été à l’origine de l’émergence récente de 2 propositions techniques pour réduire le risque de récidive : 1) une résection large du mésentère lors de la chirurgie et 2) éloigner au maximum la zone anastomotique du mésentère restant. L’essai SPICY testait donc la première de ces hypothèses.

Un total de 139 patients opérés d’une MC iléale terminale ont été randomisés en 2 groupes : un groupe avec résection standard du mésentère, réalisée le long du tube digestif (n=68), et un groupe avec résection large du mésentère, emportant l’ensemble de la graisse entre sous le pédicule iléo-caeco-appendiculaire (n=71). Dans les 2 groupes, la section digestive était réalisée exactement au même niveau et l’anastomose était réalisée toujours dans le même temps et selon les mêmes modalités. Les modalités de traitement postopératoire, en particulier l’éventualité de la mise en place d’un traitement prophylactique de la récidive, étaient laissées libres. Enfin, l’essai était conçu comme un essai de supériorité, avec une hypothèse de réduction du taux de récidive endoscopique à 6 mois de 25% dans le groupe avec résection extensive.

A 6 mois, il est peu de dire que les résultats de l’exérèse extensive du mésentère étaient décevants ! En effet les taux de récidive étaient de 42% dans le groupe exérèse extensive contre 43% dans le groupe standard, avec une p-value presque comique puisqu’elle était égale à 1… Il est même presque légitime de se demander si l’exérèse large ne faisait pas moins bien puisque le taux de traitement biologique prophylactique dans ce groupe était clairement plus élevé, atteignant 27%, contre 14% dans le groupe standard, alors que les facteurs de risque de récidive semblaient équivalents entre les 2 groupes.

Ces résultats décevants vont de pair avec les études récentes visant à tester la deuxième hypothèse, qui consistait à éloigner l’anastomose du mésentère. L’anastomose KONO-S répondait exactement à cette prérogative, puisqu’elle avait justement été conçue de façon que la suture digestive soit le plus loin possible du mésentère restant. Les résultats initiaux de cette nouvelle anastomose semblaient prometteurs 3 mais une étude française récente à malheureusement calmé cet espoir puisqu’elle ne retrouvait absolument aucune différence entre les patients avec anastomose KONO-S et ceux avec anastomose standard 4

Malgré tous nos efforts, il semble donc que les chirurgiens ne puissent pas faire grand-chose pour réduire le risque de récidive postopératoires de la MC. Ce n’est pas pourtant faute d’essayer… 

À suivre…

Références

  1. Maggiori L, Brouquet A, Zerbib P, Lefevre JH, Denost Q, Germain A, et al. Penetrating Crohn Disease Is Not Associated With a Higher Risk of Recurrence After Surgery: A Prospective Nationwide Cohort Conducted by the Getaid Chirurgie Group. Ann Surg 2019; 270: 827-834. ↩︎
  2. Buskens CJ, de Groof EJ, Bemelman WA, Wildenberg ME. The role of the mesentery in Crohn’s disease. Lancet Gastroenterol Hepatol 2017; 2: 245-246. ↩︎
  3. Luglio G, Rispo A, Imperatore N, Giglio MC, Amendola A, Tropeano FP, et al. Surgical Prevention of Anastomotic Recurrence by Excluding Mesentery in Crohn’s Disease: The SuPREMe-CD Study – A Randomized Clinical Trial. Ann Surg 2020; 272: 210-217. ↩︎
  4. Alibert L, Betton L, Falcoz A, Manceau G, Benoist S, Zerbib P, et al. Does Kono-S Anastomosis Reduce Recurrence in Crohn’s Disease Compared with Conventional Ileocolonic Anastomosis? A Nationwide Propensity Score-matched Study from GETAID Chirurgie Group [KoCoRICCO Study]. J Crohns Colitis 2024; 18: 525-532. ↩︎