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Une alerte par Maroua Ben Khelifa : radiofréquence hémorroïdaire et fasciite périnéale sous dapaglifozine

Cas clinique :

La radiofréquence hémorroïdaire est une technique chirurgicale mini invasive d’utilisation récente dans la prise en charge des prolapsus muco-hémorroïdaires grade 2 et 3, après échec des traitements instrumentaux, avec des suites en général simples et sans complication majeure. Nous rapportons le cas d’un patient ayant présenté une fasciite périnéale après traitement.

Il s’agit d’un homme de 62 ans ayant consulté en décembre 2021 pour une anémie ferriprive à 7.6 g/dl sur des saignements chroniques. Un bilan endoscopique haut et bas a été réalisé en Janvier 2022. La fibroscopie a retrouvé une gastrite à Helicobacter pylori traitée et éradiquée et la coloscopie a permis l’exérèse de 2 polypes correspondant à des adénomes en dysplasie de bas grade.

Il présentait un prolapsus muco hémorroïdaire grade 3-4 qui représentait une indication théorique à un traitement chirurgical par Milligan et Morgan mais le patient souhaitait un traitement mini invasif chirurgical.  Il lui a été proposé un traitement par radiofréquence sous anesthésie générale en ambulatoire.

Ce patient présentait comme antécédents une surcharge pondérale (90kg pour 175cm, BMI=29), un diabète de type 2 évoluant depuis 2019 déséquilibré (HbA1c à 8%), une hypertension artérielle, une coronaropathie avec sténose à 45-50% de l’interventriculaire antérieure.

Le traitement quotidien à l’entrée de l’hospitalisation comprenait metformine chlorhydrate 1000 mg + sitagliptine 50 mg 2 comprimes, dapagliflozine 10mg, acide acétyle salicylique 75 mg, diltiazem chlorhydrate LP 300 mg, venlafaxine LP 37,5 mg.

L’exploration sous anesthésie générale retrouvait un prolapsus mucohémorroïdaire circonférentiel grade IV. Les fosses ischiorectales étaient souples. Il n’y avait pas de fissure anale. Une antibioprophylaxie par métronidazole a été effectuée. L’énergie totale délivrée (3453 Joules) était répartie sur les 3 paquets hémorroïdaires : paquet postéro droit (1520 Joules pendant 1min05s), paquet postéro gauche (1250 Joules pendant 50s), paquet antérieur (683 Joules pendant 25s). La procédure a duré 2 mn 20 secondes sans complication peropératoire. Une infiltration pudendale avec 20 ml de ropivacaïne à 7,5mg/l avait été préalablement réalisée.

Le patient rentre chez lui 6 heures après l’intervention chirurgicale après reprise de la miction et en l’absence d’hyperthermie et de saignement.

Quelques heures plus tard, il présente une diarrhée aigue, des frissons et un malaise. Deux jours après, l’aggravation de l’état général conduit le patient aux urgences. Il est admis en réanimation pour collapsus et acidose lactique  (PH 7.27 ; lactate : 6,8 mmol /l). L’examen clinique du périnée note un hématome sans ulcération ni nécrose ni dermo-hypodermite ou ulcération.

Sa biologie : leucocytes 9 270/mm3, CRP  644, créatinine 205 umol/l. Les coprocultures et recherche de Clostridium difficile sont négatives.

Le diagnostic de fasciite est évoqué après la réalisation d’un scanner qui retrouve une infiltration importante de la graisse périvésicale, périsigmoïdienne et périnéale. Le patient est mis sous antibiothérapie piperacillineettazobactam associés à de la clindamycine pendant les 48 premières heures.

Figures 1 et 2 : scanner avec infiltration et rehaussement des tissus périrectaux (*), épaissement de la paroi rectale (->).

La dapaglifozine est arrêtée à J3, du fait des risques septiques qui ont été rapportés.

La rectosigmoïdoscopie réalisée 4 jours après l’intervention montrait un aspect grisâtre de la portion distale du rectum sans ulcération ni nécrose.

A J 5 post opératoire, le patient est transféré dans le service de gastro-entérologie et proctologie. Il était subfébrile à 37 8 °C et décrit des douleurs anales avec des épisodes d’incontinence anale active. L’examen clinique retrouvait une infiltration érythémateuse dermo-hypodermique des 2 fosses ischio-anales prédominant à gauche sur environ 12 cm avec aspect « cartonné » des tissus, sans crépitation, signe de gangrène ou ulcération anale.

Sa biologie : CRP 588, leucocytes 8 440/ mm3, créatinine 81umol/l, lactates 1,6mmol /l.

Le scanner à J7 notait un épaississement et un défaut de rehaussement pariétal s’étendant de la marge anale jusqu’à la charnière recto sigmoïdienne avec une infiltration de la graisse péri-digestive et pré-sacrée, sans collection.

Cliniquement l’infiltration cutanée et sous cutanée diminuait à droite et restait stable à gauche.

L’IRM périnéale réalisée à J11 notait un épaississement de la paroi du rectum à 16mm sans abcès franc, une Infiltration liquidienne de la graisse mésorectale collectée en présacré sur 10 cm d’axe cranio-caudal. Devant cette collection, du metronidazole et du linézolide sont ajoutés à la piperacillie et tazobactam.

Figures 3 et 4 : IRM en T1 fat-sat avec injection de gadolinium, infiltration et rehaussement des tissus périrectaux (*), épaissement de la paroi rectale (->).

Figure 5 : IRM en T1 fat-sat avec injection de gadolinium, infiltration et rehaussement de la fosse ischio-rectale (->).

Une nouvelle recto-sigmoïdoscopie ne retrouvait pas d’anomalie muqueuse, ni d’argument pour une ischémie intestinale.

A J21, l’évolution clinique reste stable avec infiltration dermohypodermique gauche sans ulcération ni nécrose.

Une seconde IRM périnéale réalisée à J19 montrait une infiltration mésorectale sur environ 16cm de hauteur avec épaississement pariétal, en régression, l’absence de collection et de fistule communiquant avec le canal anal, une cytostéatonécrose de la graisse ischio-rectale sans abcès.

Devant l’absence de collection et l’absence de trajet fistuleux, il est décidé de ne pas intervenir chirurgicalement et de poursuivre le traitement médical.

L’évolution est favorable sous antibiothérapie et arrêt du dapagliflozine avec régression complète de l’infiltration bilatérale des fosses ischio-rectales et une quasi normalisation des paramètres biologiques à J21 : CRP 29mg/l ; leucocytes 6 600/mm3 ; créatinine 51 umol/l. Le patient rentre chez lui après trois semaines d’hospitalisation. Un suivi hebdomadaire est réalisé pendant un mois. Une normalisation des paramètres biologiques est obtenue cinq semaines après l’intervention.

Discussion

Chez ce patient, la gangrène de Fournier qui est une complication rare mais redoutée de tout geste invasif périnéal, a été d’emblée évoquée. Sous antibiothérapie, l’évolution clinique favorable sans nécrose ni gangrène a permis d’éviter une mise à plat chirurgicale large. Le diagnostic de fasciite périnéale sans évolution vers la gangrène a été retenu.

La gangrène de Fournier a une incidence de 1,6 cas pour 100 000 hommes, avec une prédominance masculine survenant préférentiellement après 60ans. Les facteurs de risques connus sont le diabète, la surcharge pondérale, un geste chirurgical périnéal, le terrain vasculaire, l’immunodépression. Récemment des cas de gangrène de Fournier et d’infections génito-urinaires ont été rapportés sous traitement par inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose-2 (SGLT 2). (1, 2)

Le traitement antidiabétique par SGLT 2 a des effets bénéfiques au niveau cardiaque et rénal. Cette classe d’antidiabétique augmente l’excrétion urinaire de sucre, pouvant favoriser la prolifération bactérienne au niveau urogénital ainsi qu’une acidocétose.

La Food and Drug Administration a lancé une alerte en 2018, reprise en 2020 à propos de 55 cas de gangrène de Fournier déclarées entre 2013 et 2019, associés à la prise de SGLT 2. Une série récente de 542 cas de gangrène, en recense 86 sous dapagliflozine et 12 sous association dapagliflozine et metformine (3,4).

Cette relation de cause à effet n’est cependant pas retrouvée dans une étude récente comparant l’incidence de gangrène de Fournier entre deux classes de médications antidiabétiques : SGLT2 vs gliptine (5).

Plus récemment, parmi les 5 cas de gangrène de fournier rapportés potentiellement en lien avec la dapagliflozine, tous de sexe masculin, l’un avait des antécédents de radiothérapie de la sphère périnéale, un second des gestes invasifs urinaires et les 3 autres patients n’avaient pas d’antécédent périnéal (6).

Une méta analyse retrouve un lien entre les différentes spécialités SGLT2 et les infections génitales mais pas avec les infections du tractus urinaire. Seule la dapagliflozine à la dose de 10mg par jour entretient ce lien avec les infections urinaires (7)

Des complications mineures (11.2%) et sévères (8.2%) ont été rapportées après radiofréquence hémorroïdaire. Ces dernières correspondaient à des complications hémorragiques per ou post opératoires, une douleur sévère, une hyperthermie et 2 patients avec ulcération hémorroïdaire d’évolution favorable. A notre connaissance, un sepsis périnéal sévère n’a pas encore été rapporté (8,9).

La radiofréquence peut entrainer des lésions du tissu hémorroïdaire pouvant potentiellement être responsables de porte d’entrée infectieuse, même si notre patient n’a jamais présenté cliniquement d’ulcère ou de nécrose des paquets hémorroïdaires traités. Il est à noter que la procédure opératoire avait respecté les recommandations d’énergie délivrée. Le traitement par dapagliflozine peut avoir favorisé la survenue ou aggravé la sévérité d’une complication septique périnéale du périnée après radiofréquence.

Conclusion

Cette classe thérapeutique est de plus en plus souvent rencontrée car prescrite pour un diabète, et aussi chez les  insuffisants cardiaques. Chez ces patients, les indications des gestes invasifs proctologiques instrumentaux ou chirurgicaux doivent tenir compte du risque potentiellement augmenté de complication infectieuse. Si un patient sous dapagliflozine présente un sepsis périnéal, il est conseillé d’arrêter ce traitement.

Références

  1. Lewis G D, Majeed M, Olang C A, et al. (October 21, 2021) Fournier’s Gangrene Diagnosis and Treatment: A Systematic Review. Cureus 13(10): e18948. doi 10.7759/cureus.18948
  2. Houdeville C, Egal A, Meyssonier V, Etienney I. la cellulite pelvienne/ une urgence médicochirurgicale. Hepato-Gastro et OncologieDigestive 2021 ; 28 : 377-382. doi : 10-1684/hpg.2021.2148
  3. FDA. Fda warns about rare occurrences of a serious infection of the genital area with SGLT2 inhibitors for diabetes, 2018. https://www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/ucm617360.htm
  4. Hu Y, Bai Z, Tang Y, et al. Fournier Gangrene Associated with Sodium-Glucose Cotransporter-2 Inhibitors: A Pharmacovigilance Study with Data from the U.S. FDA Adverse Event Reporting System. Journal of Diabetes Research Volume 2020, Article ID 3695101, 8 pages https://doi.org/10.1155/2020/3695101
  5. Yang JY, Wang T, Pate V, et al. Real-world evidence on sodium-glucose cotransporter-2 inhibitor use and risk of Fournier’s gangrene. BMJ Open Diab Res Care 2020;8:e000985. doi:10.1136/ bmjdrc-2019-000985
  6. Elbeddini A, Tayefehchamani Y, Davey M, et al. Fournier’s gangrene with dapaglifozin in a rural hospital: a case report. BMJ Case Rep 202 ; 14 :e237784. doi 0. 36/bcr-2020- 237784
  7. Puckrin R, Saltiel MP, Reynier P, et al. SGLT-2 inhibitors and the risk of infections: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Acta Diabetol 55, 503–514 (2018). https://doi.org/10.1007/s00592-018-1116-0
  8.  Didelot JM, Raux B, Didelot R, et al.  What can patients expect in the long term from radiofrequency thermocoagulation of hemorrhoids on bleeding, prolapse, quality of life, and recurrence: “no pain, no gain” or “no pain but a gain”? Ann Coloproctol 2022 Oct 11 [Epub ahead of print] https: //doi.org/10.3393/ac.2022.00311.0044
  9. Tolksdorf S, Tübergen D, Vivaldi C, et al. Early and midterm results of radiofrequency ablation (Rafaelo® procedure) for third-degree haemorrhoids: a prospective, two centre study. Tech Coloproctol 2022;26:479-87. doi.org:10.1007/s10151-022-02608-x