Des travaux importants publiés ces dernières années ont montré qu’une prise de 200 mg de doxycycline per os dans les 72 heures suivant un rapport sexuel sans préservatif diminuait significativement le risque de contracter une infection bactérienne sexuellement transmissible (1-3).
Tout récemment, l’essai DoxyVAC a été arrêté avant terme du fait des résultats intermédiaires positifs afin de proposer le traitement actif à tous les individus inclus dans le but d’éviter une perte de chance : dans le groupe recevant la doxycycline en prophylaxie post exposition, diminution de 80% pour Chlamydia trachomatis et la syphilis et de 51% pour le gonocoque. Dans cet essai l’infection à Gonocoque était anale (+/- gorge) dans plus d’un tiers des cas (1)
Cette prophylaxie post exposition (PEP) des infections sexuellement transmissibles d’origine bactérienne (chlamydiose, syphilis, gonococcie et mycoplasmose) est donc très efficace. Toutefois, elle ne peut pas être actuellement recommandée et, si elle l’est, ses conditions d’application seront probablement très restrictives, car :
- Elle ne peut reposer que sur une tétracycline, seule évaluée avec un haut niveau de preuve.
- Elle risque de favoriser globalement l’émergence de bactéries résistantes à la tétracycline, et plus spécialement parmi les Chlamydia et Mycoplasme, contre lesquels c’est le principal antibiotique actif.
- Elle risque de favoriser l’émergence de résistances croisées à d’autres antibiotiques, d’induire une tolérance des bactéries aux tétracyclines (augmentation des concentrations minimales inhibitrices), ainsi qu’une baisse des défenses naturelles contre les infections traitées précocement.
- Elle perturberait la cinétique sérologique de la syphilis, et donc la possibilité diagnostique en cas de réinfestation.
- Des modifications du microbiome du patient sont possibles. Sans parler des effets secondaires classiques des tétracyclines (effets sur le fœtus, photosensibilisation).
Dans ces essais la consommation de tétracycline n’était pas anecdotique : en médiane 7 comprimés (700 mg) par mois pour DoxyVAC, et plus de 10 comprimés (2000 mg) pour 25% des patients dans DoxyPEP. Il est recommandé de ne pas dépasser la prise de 2 comprimés (200 mg) par jour.
Bien qu’il ne soit pas recommandé, ce moyen de prévention diffuse dans la communauté gay, comme le montre une enquête allemande (4).
En attendant une prise de position et d’éventuelles recommandations officielles du CDC d’Atlanta et des sociétés savantes, il n’est pas possible de promouvoir cette prévention. Toutefois certains organismes comme le département californien de santé publique (CDPH), poussé par l’explosion des infections sexuellement transmissibles, a émis des recommandations (https://www.cdph.ca.gov/Programs/CID/DCDC/CDPH%20Document%20Library/CDPH-Doxy-PEP-Recommendations-for-Prevention-of-STIs.pdf).
Il est important de noter que, même si ces recommandations passent outre le devoir de prudence justifié par l’absence de données suffisantes sur les effets secondaires de cette stratégie, elles sont restrictives et ne ciblent que la population statistiquement la plus à risque de contracter une infection sexuellement transmissible : hommes ayant des rapports sexuels non protégés avec des hommes ou femmes transgenres, et ayant eu au moins une infection sexuellement transmise (gonococcie, chlamydiose, syphilis) dans l’année précédente.
D’autres pistes sont à l’étude pour la gonococcie. C’est celle qui est proportionnellement la moins répondeuse à cette PEP, et celle qui est la plus à risque de développer des résistances aux antibiotiques. De grands espoirs sont posés sur le vaccin anti méningocoque qui offre une relative protection croisée contre le gonocoque. Dans les conditions particulières de l’essai DoxyVAC (arrêté avant terme), le vaccin anti méningocoque retardait de façon significative la première infection par le gonocoque et diminuait (non significativement) le nombre d’infections contractées par sujet (1).
Pour résumer, si vos patients vous interrogent. Oui, la prise de 200 mg de doxycycline dans les 72 heures suivant un rapport non protégé diminue le risque d’infection sexuellement transmissible (Gonocoque, Chlamydia, syphilis, Mycoplasme). Mais, cette prophylaxie ne peut être aujourd’hui officiellement recommandée. Si elle était réclamée, elle ne doit être utilisée que par les sujets les plus à risque de contracter une infection sexuellement transmissible : HSH, femmes transgenres, surtout si sous PrEP ou vivant avec le VIH, et ayant eu une infection par Chlamydia, Gonocoque ou une syphilis dans l’année précédente. Les conséquences à long terme de cet usage des tétracyclines sont encore mal connues et la balance bénéfice-risque aux niveaux individuel et collectif n’est pas encore évaluée. Un avis devrait être émis par le CDC d’Atlanta avant la fin de l’année.
Références
- Abstract présenté par JM Molina à la Conférence sur les rétrovirus et infections opportunistes (CROI) en février 2023 à Seattle : https://www.croiconference.org/abstract/anrs-174-doxyvac-an-open-label-randomized-trial-to-prevent-stis-in-msm-on-prep/
- Luetkemeyer AF, Donnell D, Dombrowski JC, et al.; DoxyPEP Study Team. Postexposure Doxycycline to Prevent Bacterial Sexually Transmitted Infections. N Engl J Med. 2023 Apr 6;388(14):1296-1306. doi: 10.1056/NEJMoa2211934. PMID: 37018493; PMCID: PMC10140182.
- Molina JM, Charreau I, Chidiac C, et al.; ANRS IPERGAY Study Group. Post-exposure prophylaxis with doxycycline to prevent sexually transmitted infections in men who have sex with men: an open-label randomised substudy of the ANRS IPERGAY trial. Lancet Infect Dis. 2018 Mar;18(3):308-317. doi: 10.1016/S1473-3099(17)30725-9. Epub 2017 Dec 8. PMID: 29229440.
- Hornuss D, Mathé P, Usadel S, Zimmermann S, Müller M, Rieg S. Already current practice? A snapshot survey on doxycycline use for prevention of sexually transmitted infections in parts of the German MSM community. Infection. 2023 Aug 22. doi: 10.1007/s15010-023-02086-9. Epub ahead of print. PMID: 37608042.