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Prise en charge du lichen anal

Le terme lichen dérive du grec « leichen » qui signifie « lécher », et qui désigne également le champignon du même nom, qui se développe comme s’il « léchait » son support.

Les lichens sont des pathologies cutanéomuqueuses chroniques inflammatoires dysimmunitaires d’origine multifactorielle, dont la physiopathologie reste mal connue (1,2,3,4).

Ils affectent les épithéliums de revêtement pavimenteux stratifiés de différentes localisations, de manière séquentielle ou concomitante, et en particulier la région anogénitale.

Premier message, il est donc important en cas de découverte devant une forme anale d’en rechercher les autres localisations, et éventuellement d’adresser le patient à un confrère formé (gynécologue, urologue, dermatologue) dans le cadre d’une prise en charge pluridisciplinaire.

Leur prévalence est estimée à environ 1% (5). Les lichens affectent préférentiellement la femme ménopausée et l’enfant (6).

Deuxième message, le diagnostic est avant tout clinique, mais il peut être confirmé par la biopsie en cas de forme atypique, de non-réponse au traitement faisant remettre en cause le diagnostic, ou de suspicion de cancer.

En premier plan, pour l’atteinte péri-anale la symptomatologie est de façon quasi constante celle d’un prurit plus ou moins sévère.

Cette brève se focalise sur les formes les plus fréquemment rencontrées en consultation de proctologie, à savoir, le lichen plan et le lichen scléreux (ou scléro-atrophique) de localisation péri-anale ou ano-génitale.

Les autres types de lichens connus des dermatologues (lichen aureus, lichen nitidus, lichen spinulosus…) ne sont pas histologiquement des lichens vrais et sont rares au niveau génital. Ils ne seront pas évoqués ici.

Les essais contrôlés sont très rares pour appuyer les recommandations de prise en charge émises par l’Association des Dermatologues Britanniques et le consensus d’experts du Forum Européen de Dermatologie (7,8).

Lichen scléreux, ou scléro-atrophique (Figure 1 et 2)

Il se traduit par des plaques papuleuses de couleur « blanc nacré » pouvant confluer en larges placards.

Figure 1
Figure 2

L’atteinte péri-anale est observée dans 1/3 des cas chez la femme, mais est très rare voire exceptionnelle chez l’homme. Chez la femme, l’atteinte de la marge anale se fait toujours en continuité avec la vulve, donnant une forme de 8 ou de sablier caractéristique.

L’évolution est chronique et entraine une sclérose épidermique qui laisse en région génito-urinaire un aspect cicatriciel durable et potentiellement mutilantes (dysurie, dyspareunie, dysesthésie).
Indépendamment du préjudice fonctionnel, il faut garder à l’esprit le risque rare mais bien démontré de dégénérescence en carcinome épidermoïde, estimé à environ 4-5% (9). Celui-ci serait diminué après application de dermocorticoïdes, ce qui renforce la nécessité du traitement en plus du suivi (10).
L’objectif premier du traitement reste celui de contrôler les symptômes et d’éviter l’évolution vers les formes cicatricielles invalidantes, car l’efficacité des traitements en prévention primaire de la dégénérescence n’est pas connue.

Le traitement de première ligne s’appuie les dermocorticoïdes de classe 1, clobetasol propionate (Clarelux, Dermoval) ou bétaméthasone propionate (Diprolène) 0,05%, sous forme de crème ou pommade en application locale pour une durée de 3 mois avec un schéma de décroissance (1 à 2 applications par jour le premier mois, 1 jour sur 2 le 2ème mois, 2 fois par semaine le 3ème mois).
Ce traitement peut être poursuivi pour une durée supplémentaire de 3 à 6 mois selon les mêmes modalités qu’au 3ème mois en cas de rechute ou de réponse partielle si cela est nécessaire pour obtenir un contrôle des symptômes et éviter une extension des lésions.
L’application en alternance d’un émollient (type Cicalfate) et des règles d’hygiène (utilisation d’un substitut du savon pour la toilette intime).

En cas d’échec du traitement, il faut vérifier l’observance et une biopsie doit être réalisée en cas de doute diagnostique.

Une surveillance est conseillée, au moins à 3 mois pour vérifier la bonne observance, la tolérance et la réponse au traitement, puis à 6 mois pour s’assurer que la réponse est soutenue. Par la suite, pour les formes non compliquées, une surveillance annuelle peut être poursuivie, possiblement en alternance avec le généraliste. En cas de non-réponse ou de forme étendue et complexe, la suite de la prise en charge pourra nécessiter des traitements tels que le tacrolimus topique, la chirurgie, des injections locales d’acétonide de triamcinolone voire des rétinoïdes par voie systémique et devra être encadrée en centre expert de dermatologie.

Lichen plan (figure 3)

Les lésions sont caractérisées par des papules violacées groupées voire coalescentes qui touchent la région anogénitale, les muqueuse buccale et œsophagienne et les extrémités (phanères, chevilles, poignets) volontiers de façon symétrique. Les atteintes anales isolées seraient exceptionnelles. L’association de ces atteintes dans différents territoires orientent le diagnostic (Figure 5 et 6).

Figure 3 : Lichen plan aigu
(cliché : Dr Johan Chanal)
Figure 4 : Lichen plan érosif
(cliché : Dr Johan Chanal)
Figure 5
Figure 6

Elles restent limitées et contrairement au lichen scléreux qui est chronique, il régresse majoritairement en 6 à 18 mois (85%).

La forme cutanée du lichen plan ne dégénère que très exceptionnellement en cancer (sauf forme hypertrophique chronique).

Elle peut laisser après cicatrisation une hyperpigmentation disgracieuse, plus marquée chez les patients à la peau foncée.

Certaines formes érosives notamment au niveau des muqueuses peuvent entrainer à l’extrême une restriction alimentaire liée à la douleur ou une dysphagie en cas d’atteinte buccale ou œsophagienne, des brûlures mictionnelles ou une dyspareunie en cas d’atteinte uro-génitale, la perte de phanères le plus souvent définitive. Le risque de dégénérescence des localisations muqueuses est mal connu.

Tout comme pour le lichen scléreux, l’objectif premier du traitement est avant tout celui de contrôler les symptômes et de prévenir ces complications.

Le traitement de première ligne des formes cutanées péri-anales s’appuie également sur les dermocorticoïdes de classe 1 en alternance avec un émollient associés à des règles d’hygiène, Le tacrolimus topique pourra également être utilisé en deuxième intention, prescription réservée aux spécialistes dermatologues.
En cas d’échec, les corticoïdes par voie systémique, les rétinoïdes par voie systémique (Acitrétine 20–35 mg/jour ou isotrétinoÏne) ou la cyclosporine (3-5mg/kg/jour) peuvent être proposés.
Les traitements de 3ème ligne à faible niveau de preuve sont rarement nécessaires comme la sulfasalazine, voire des immunosuppresseurs et des biothérapies. Ils doivent là aussi faire l’objet d’un avis en centre expert. La photothérapie aux UVB augmente le risque de cancérisation au niveau génito-anal.
La surveillance au long cours n’est pas nécessaire en cas de forme exclusivement péri-anale non compliquée.

Références

  1. Farrell AM, Marren   P, Dean   D et al. Lichen sclerosus: evidence that immunological changes occur at all levels of the skin. Br J Dermatol 1999;140 :1087–92.
  2. Meijden WI et al. An autoimmune phenotype in vulvar lichen sclerosus and lichen planus: a Th1 response and high levels of microRNA‐155. J Invest Dermatol 2012;132 :658–66.
  3. Lichen sclerosus premenarche: autoimmunity and immunogenetics. Br J Dermatol 2000;142:481–4
  4. Shengyuan L, Songpo Y, Wen W, Wenjing T, Haitao Z, Binyou W. Hepatitis C virus and lichen planus: a reciprocal association determined by a meta-analysis. Arch Dermatol 2009;145:1040– 1047.
  5. McCartan BE, Healy CM. The reported prevalence of oral lichen planus: a review and critique. J Oral Pathol Med 2008; 37:447–453.
  6. Wallace HJ. Lichen sclerosus et atrophicus. Trans St Johns Hosp Dermatol Soc 1971;57:9-30.
  7. Ioannides D, Vakirlis E, Kemeny L, Marinovic B, Massone C, Murphy R, Nast A, Ronnevig J, Ruzicka T, Cooper SM, Trüeb RM, Pujol Vallverdú RM, Wolf R, Neumann M. European S1 guidelines on the management of lichen planus: a cooperation of the European Dermatology Forum with the European Academy of Dermatology and Venereology. J Eur Acad Dermatol Venereol 2020;34:1403-1414.
  8. Lewis FM, Tatnall FM, Velangi SS, Bunker CB, Kumar A, Brackenbury F, Mohd Mustapa MF, Exton LS. British Association of Dermatologists guidelines for the management of lichen sclerosus. Br J Dermatol 2018;178:839-853.
  9. Micheletti L, Preti M, Radici G, Boveri S, Di Pumpo O, Privitera SS, Ghiringhello B, Benedetto C. Vulvar Lichen Sclerosus and Neoplastic Transformation: A Retrospective Study of 976 Cases. J Low Genit Tract Dis 2016;20:180-3.
  10. Lee A, Bradford J, Fischer G. Long-term Management of Adult Vulvar Lichen Sclerosus: A Prospective Cohort Study of 507 Women. JAMA Dermatol 2015;151:1061-7.