La maladie de Hirschsprung se caractérise par une agénésie ganglionnaire au sein des plexus sous-muqueux et myentérique de la partie distale du tube digestif. La zone atteinte est étendue du sphincter anal interne en distalité jusqu’à une distance variable en amont. Dans 80% des cas, la maladie est limitée au rectosigmoïde. Le diagnostic de maladie de Hirschsprung est posé dans la période néonatale devant un tableau d’occlusion intestinale ou plus rarement de constipation opiniâtre. Le traitement initié dans les premiers mois de vie peut impacter les fonctions défécatoires à long terme et altérer la qualité de vie des patients à l’âge adulte.
Les principes de la prise en charge dans l’enfance
L’absence de ganglion myentérique et sous-muqueux dans le rectosigmoïde occasionne un défaut de motricité de la zone atteinte et une dilatation du côlon d’amont dès la naissance. Devant un tableau d’occlusion aigüe néonatale basse, la maladie de Hirschsprung est affirmée par une biopsie rectale.
L’objectif de la prise en charge initial devient alors de maintenir le transit jusqu’à la résection chirurgicale du segment rectocolique atteint. La réalisation d’une stomie en amont de la zone aganglionnaire a longtemps été la stratégie la plus fréquente pour différer la résection chirurgicale à distance des tous premiers mois de vie. Néanmoins depuis une vingtaine d’année avec l’amélioration des techniques chirurgicales, la chirurgie de résection rectocolique est préconisée plus tôt dans les premiers jours de vie. En attendant la chirurgie et pour permettre la reprise du transit et la reprise de poids préopératoire, des « nursings » (montée de sonde rectale par voie anale au-delà de l’obstacle et lavements au sérum physiologique) sont réalisés deux à trois fois par jour1. La stomie de dérivation n’est plus réservée qu’aux cas d’échec des nursings, de perforation digestive ou d’entérocolite, autre complication sévère de la maladie de Hirschsprung.
La résection chirurgicale du segment aganglionnaire
Le principe de la prise en charge chirurgicale est commun aux différentes techniques. Elles incluent la résection du segment aganglionnaire et une remise en continuité du côlon sain avec le bas rectum ou la partie haute du canal anal en conservant l’intégralité du canal anal. La descente du côlon abaissé s’effectuant par voie transanale, elles sont globalement nommées technique de « pull-through ». Les trois techniques chirurgicales les plus utilisées sont les interventions de Soave, de Duhamel et de Swenson (Figure 1).
La technique de Soave est traditionnellement réalisée par voie transanale et consiste à conserver le manchon musculaire du rectum pour ne réséquer à ce niveau que la muqueuse rectale. La résection est menée par voie transanale jusqu’à la zone de transition pour retrouver un côlon sain et conserve la musculeuse rectale du bas rectum. L’anastomose colo-anale est ensuite réalisée après passage du côlon au travers du manchon musculaire rectal. Cette stratégie peut être facilitée si nécessaire par une laparoscopique. Aujourd’hui, la distance recommandée du manchon rectale ne doit pas excéder 3 cm mais les chirurgies réalisées il y a plus de 20 ans ont pu laisser des manchons beaucoup plus longs, associés à plus d’occlusion postopératoire, de constipation et d’entérocolite2.
La technique de Duhamel réalisée aujourd’hui par laparoscopie est une anastomose colorectale basse conservatrice du rectum avec passage rétrorectal du côlon abaissé. Elle évite la dissection pelvienne antérieure et les potentielles séquelles urogénitales associées aux lésions des plexus hypogastriques.
La technique de Swenson correspond à une anastomose coloanale avec préparation du côlon abaissé par laparoscopie.
Les trois techniques offrent un résultat fonctionnel dans l’enfance similaire mais il semblerait que la stratégie de Soave expose à plus de risque d’entérocolite.
Les séquelles fonctionnelles à l’âge adulte
La prise en charge réalisée dans l’enfance permet aux enfants atteints de maladie de Hirschsprung de maintenir un transit puis une autonomie défécatoire sans stomie à long terme. Néanmoins, la chirurgie de « pull-through » expose à des séquelles fonctionnelles pouvant impacter la qualité de vie des patients à long terme.
Lors de la chirurgie, les manipulations transanales peuvent créer des lésions sphinctériennes, la section distale peut emporter les récepteurs sensitifs et l’innervation responsables du réflexe d’échantillonnage et de la continence anale, et une partie du sphincter interne nécessaire à la continence passive. Par ailleurs, les troubles fonctionnels peuvent également être en rapport avec une hypertonie du sphincter interne, aujourd’hui bien connue et traitée de manière conservatrice dans l’enfance, mais ayant pu laisser une incontinence anale ou une hypertonie résiduelle lorsque des traitements inadéquats étaient proposés il y a plus de 20 ans.
Les données de la littérature récente retrouvent des résultats fonctionnels différents selon l’âge des patients inclus dans l’évaluation, avec une bascule des résultats après l’âge de 40 ans. En effet, les patients opérés dans l’enfance d’une maladie de Hirschsprung et recontactés à 18 ans et plus rapportent peu de troubles fonctionnels digestifs4-6. Dans 94% des cas, les patients adultes de moins de 40 ans ne rapportent aucune altération fonctionnelle digestive4. La proportion de patients affectés par des impériosités fécales (1%), des épisodes d’incontinence fécale (4%) ou un retentissement sur la vie sociale est comparable aux patients contrôles du même âge4,6. Les symptômes impactant les adultes de moins de 40 ans de façon significative sont la modification du nombre de selles par jour et les fuites de selles à type de traces (16%). Le taux de constipation est identique à la population contrôle de même âge, de l’ordre de 5 à 22%4-6. De plus l’utilisation de laxatifs est beaucoup plus rare dans cette tranche d’âge qu’à l’âge adulte où les mesures hygiéno-diététiques suffisent à traiter la constipation dans la majorité des cas. Le taux de recours aux laxatifs est identique entre les patients adultes atteints de maladie de Hirschsprung et la population contrôle6,7. Le taux de stomie définitive à l’âge adulte est de 5-6% et le taux de lavements coliques antérogrades de 0,5%5,7. Ainsi, les résultats fonctionnels obtenus entre 18 et 40 ans sont significativement meilleurs que dans la tranche d’âge ≤ 12 ans4,5. De façon cohérente, l’âge ≥ 12 ans est un facteur indépendant de bon résultat fonctionnel (« Bowel Function Score » ≥ 17) dans une population de patients de moins de 40 ans4,5.
Dans les séries de patients adultes plus âgés, les résultats fonctionnels digestifs apparaissent moins bons5,9. Dans la série de Jarvi et al. de 43 ans d’âge médian, les patients opérés de Hirschsprung dans l’enfance rapportaient une incapacité à différer l’exonération dans 40% des cas, une incontinence anale à type de traces dans 48% des cas et une incontinence fécale dans 14% des cas9. Le taux de constipation de 30% étaient également anormalement élevé, de même que la proportion de 29% de patients se plaignant d’un retentissement social des symptômes digestifs. Ces données résultaient en une diminution significative du « Bowel Function Score » chez les patients de plus de 40 ans opérés de Hisrchsprung en comparaison de la population contrôle. Des résultats similaires étaient obtenus dans le sous-groupe de patients de la tranche d’âge 27-43 ans de la série de Davidson et al5. Après 40 ans, l’âge croissant est indépendamment associé à de moins bons résultats fonctionnels9. Ces données peuvent être expliquées par la détérioration de la fonction défécatoire avec l’âge, observée de la même manière dans la population générale. L’autre hypothèse est l’amélioration de la compréhension des séquelles.
Les résultats de qualité de vie à l’âge adulte
La qualité de vie est globalement conservée à l’âge adulte, avec un score SF-36 ou WHO-QOL100 identique ou supérieur à la population contrôle dans toutes les dimensions de santé physique et mentale après 18 ans4,6,8. Le score GIQLI, plus adapté à l’évaluation de la qualité de vie associée aux symptômes digestifs, est inférieur chez les adultes opérés dans l’enfance d’une maladie de Hirschsprung que dans la population générale. Néanmoins, la valeur moyenne de leur score GIQLI reste supérieure à la valeur seuil d’altération de la qualité de vie4,5,7. Les dimensions impactées par la maladie de Hirschsprung à l’âge adulte varient selon les séries entre la santé globale, la santé mentale et les symptômes digestifs4,5-9. Il apparaît qu’à l’âge adulte, les symptômes digestifs retentissent moins sur la qualité de vie sociale, du fait de leur amélioration. Néanmoins, il persiste une altération des domaines émotionnels, liés à la perception de la maladie acquise dans l’enfance10. Sur le plan professionnel, les patients atteints de maladie Hirschsprung sont plus représentés dans les métiers intellectuels, exécutifs, commerçants et agricoles que les métiers d’ouvriers industriels, employés non cadres et les professions intermédiaires7.
La qualité de vie globale reste également peu altérée après l’âge de 40 ans malgré la dégradation des résultats fonctionnels à cet âge9. La dimension des symptômes digestifs est en effet particulièrement impactée dans la série de patients la plus âgée en comparaison de la population contrôle de même âge. Néanmoins, l’amélioration du sommeil et les possibilités de réalisation d’activité de loisirs contrebalancent l’effet négatif des symptômes digestifs sur le score GIQLI global9.
La qualité de vie des patients à l’âge adulte est significativement impactée par un mauvais résultat fonctionnel, une longueur étendue du segment colique atteint. En revanche, le type de chirurgie proposée n’impacte pas les résultats fonctionnels à l’âge adulte5,6,9,10.
Les traitements des troubles fonctionnels à l’âge adulte
La prise en charge des troubles fonctionnels digestifs à l’âge adulte repose sur les traitements symptomatiques utilisés classiquement dans le traitement de la constipation et l’incontinence fécale.
Pour la majorité des patients adultes opérés de Hirschsprung et souffrant de constipation, les mesures hygiéno-diététiques sont suffisantes5. Les traitements laxatifs sont parfois nécessaires. La prise en charge de l’incontinence fécale repose également sur des mesures hygiéno-diététiques, associées à des exercices de rééducation pelvienne et la prescription de ralentisseurs du transit. Tout comme dans l’enfance, une hypertonie du sphincter interne peut être recherchée par manométrie anorectale pour envisager l’injection de toxine botulique.
Dans les cas de constipation sévère plus ou moins accompagnée d’incontinence fécale invalidante, des lavements coliques s’avèrent indispensables mais cette éventualité reste rare. Seulement 0,5% des patients adultes ont encore recours aux lavements coliques antérogrades5,7. Lorsque l’indication de lavements coliques est posée à l’âge adulte, l’utilisation des lavements coliques rétrogrades à l’aide du dispositif Peristeen est privilégiée du fait des effets indésirables des différentes voies d’abord des lavements coliques antérogrades. En effet, la technique de Malone ou apparentés se compliquent fréquemment de fuites muqueuses voire fécales invalidantes et de sténose. La caecostomie percutanée endoscopique quant à elle est associée à des douleurs pariétales pouvant être invalidantes11. Ainsi, les lavements coliques antérogrades ne sont proposés qu’en deuxième intention après inefficacité ou efficacité partielle des lavements par Peristeen. Enfin, la stomie définitive est la dernière alternative proposée en cas de résultats fonctionnels invalidants. Dans les séries de patients adultes, 5% des patients sont porteurs de stomie définitives à l’âge adulte. Leur indication n’étant pas précisée, il est difficile de les rapporter au traitement des troubles fonctionnels digestifs sévères3,5.
Les modalités de la transition enfant-adulte
L’existence de troubles fonctionnels à l’âge adulte pour lesquels des options thérapeutiques spécifiques peuvent être proposées, et plus particulièrement après l’âge de 40 ans alors les symptômes sont plutôt bien régulés avant cet âge, justifie un suivi régulier à long terme. Parallèlement, l’initiation ou la poursuite d’un suivi psychologique adapté à l’âge adulte pourrait prévenir/améliorer le manque de confiance en soi et l’altération du fonctionnement social générés par la maladie de Hirschsprung dans l’enfance.
Le suivi à l’âge adulte nécessite donc une transition des soins de l’équipe de chirurgie infantile vers les spécialistes adultes qui peuvent être selon les cas chirurgiens digestifs, gastroentérologues, urologues, gynécologues mais aussi psychologues, kinésithérapeutes, sexologues et diététiciens12. Les modalités de la transition des soins enfant-adulte ne sont pas spécifiquement établis pour la maladie de Hisrchsprung. Cependant, des recommandations pour la transition des soins au cours des maladies chroniques ont été publiées par la NICE et établi les mesures suivantes13 :
- Les étapes de la transition doivent être initiées à l’âge de 13-14 ans au plus tard mais leur mise en place peut être modulée selon les capacités d’acceptation de l’enfant.
- La transition doit s’effectuer à une période de stabilité de la maladie. L’amélioration des troubles fonctionnels digestifs de la maladie de Hirschsprung après 12 ans est propice à l’initiation de la transition à partir de cet âge.
- La transition débute par une phase d’information de l’évolution de la maladie est des besoins de soins à attendre à l’âge adulte. Le besoin d’un suivi à l’âge adulte peut être difficile à faire comprendre à l’adolescence, période où les symptômes s’améliorent spontanément.
- Les informations données et les étapes de la transition sont coordonnées par un soignant coordonnateur clairement désigné, choisi par l’enfant/adolescent en transition
- L’identification des soignants qui seront impliqués dans la prise en charge à l’âge adulte se fait avec le coordonnateur choisi et selon les symptômes présents ou à dépister sur le long terme.
- La période de transition est l’occasion pour l’adolescent de s’impliquer dans les soins et de devenir progressivement autonome dans la gestion de ses soins.
Certains outils peuvent faciliter cette période de transition, comme des associations de malades telles que l’Association Francophone de la Maladie de Hirschsprung (AFMAH), ou des tutoriels adaptés, comme ceux proposés par « La Suite Necker »14. La poursuite du suivi dans l’équipe infantile est nécessaire jusqu’à ce que le patient se sente à l’aise dans le suivi réalisé par l’équipe de soins adultes.
Conclusion
La maladie de Hirschsprung et sa prise en charge dans l’enfance peuvent laisser à l’âge adulte des séquelles fonctionnelles défécatoires dont l’intensité s’aggrave avec l’âge et notamment après 40 ans. La prise en charge des séquelles fait appel aux traitements conventionnels de la constipation et l’incontinence fécale, et y associe la possibilité d’injection de toxine botulique lorsqu’une hypertonie du sphincter interne persiste. L’importance d’un suivi à l’âge adulte justifie donc une transition des soins entre l’équipe soignante pédiatrique et l’équipe adulte, à mener selon les recommandations actuelles pour la transition enfant-adulte des maladies chroniques.
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