Le carcinome épidermoïde représente plus de 90 % des cancers de l’anus. En France, un peu plus de 2000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. Son incidence est en constante augmentation. Elle a doublé au cours des 30 dernières années. Il est plus fréquent chez la femme, avec un sex-ratio hommes/femmes de 0,3 et les deux tiers des patients ont plus de 65 ans au moment du diagnostic. C’est un cancer viro-induit. Il résulte de l’infection persistante par un HPV (Human Papillomavirus) à haut risque oncogène (HPV-HR). Le génotype 16 est responsable de plus de 80 % des cancers de l’anus. Il faut bien distinguer l’infection à HPV-HR de l’infection à HPV non oncogène, notamment les génotypes 6 et 11 qui sont responsables de lésions bénignes, les condylomes ano-génitaux.
L’apparition du carcinome invasif est précédée par le développement de lésions précancéreuses appelées lésions malpighiennes intraépithéliales ou ASIL (pour Anal Squamous Intraepithelial Lesion). On distingue les lésions de bas grade (LSIL) et les lésions de haut grade (HSIL). La classification de LAST tend à remplacer progressivement la classification AIN (Anal Intraepithelial Neoplasia) en 3 grades qui ne prend pas en compte l’intensité du marquage de la protéine P16 pour distinguer les lésions de bas et haut grade (tableau 1).
AIN classification | ASIL classification (LAST classification) | |
Dysplasie légère | AIN 1 AIN 2 p16- | LSIL (Low grade) |
Dysplasie modérée | AIN 2 p16+ AIN 3 | HSIL (High Grade) |
Dysplasie sévère | ||
Maladie de Bowen Carcinome in situ |
Ces lésions sont précurseurs du carcinome épidermoïde invasif et sont par définition strictement intraépithéliales. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et vivant avec le VIH sont particulièrement à risque de cancer anal, avec un risque relatif multiplié par 100. Dans cette population, le cancer survient par ailleurs chez des patients plus jeunes, autour de 50 ans. Les autres groupes à risque sont les femmes ayant un antécédent de lésions précancéreuses et de cancers gynécologiques liés aux HPV, particulièrement de la vulve, et les patients transplantés d’organe solide (tableaux 2 et 3).
VIH + | VIH – | |
HSH | 22,4% 22% | 11,3% 12% |
HSF | 7% | – |
Femmes | 6 à 27% | – |
Femmes avec antécédents de lésions de haut grade/ cancer génital HPV induit | 8% | |
Patients transplantés | 4.7% | |
Patients MICI | 8,7% |
MICI : maladie inflammatoire chronique de l’intestin
HSH : hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes
HSF : hommes ayant des relations sexuelles avec des femmes
HSH vivant avec le VIH âgés de plus de 30 ans Femmes transplantées d’organe solide depuis plus de 10 ans Femmes ayant des antécédents de lésion de haut grade ou de cancer de la vulve |
Chez ces patients le taux d’incidence annuel du cancer de l’anus est supérieur à 40/100 000 (supérieur au taux d’incidence annuel du cancer colorectal en France) contre 1 à 2,5/100 000 dans la population générale. Les taux de progression des HSIL vers le cancer invasif varient de 0,8 à 14 % à 5 ans. Toutefois, l’évolution des lésions précancéreuses n’est pas à sens unique. On estime qu’environ 20% par an des lésions précancéreuses de haut grade régressent spontanément. L’infection à HPV16 est le principal facteur de risque de progression des HSIL vers le cancer. Les autres facteurs de risque suspectés sont principalement l’âge, la taille des lésions, le tabac, l’immunosuppression, le marquage p16/Ki67ou encore la méthylation de l’ADN.
Un dépistage n’est efficace que s’il cible les populations à forte prévalence de cancer de l’anus. Les groupes à très haut risque sont rappelés dans le tableau 3. Même si la plus grande partie des cancers surviennent chez la femme âgée, l’incidence y est globalement trop faible pour une action de dépistage généralisée. La SNFCP a récemment émis des recommandations de dépistage et de prise en charge des lésions précancéreuses anales (figure 1).
AHR : Anuscopie haute résolution
L’objectif du dépistage est de diagnostiquer précocement les lésions précancéreuses, afin de les traiter et d’éviter la survenue d’un cancer invasif. En effet, traiter les lésions précancéreuses permet de diminuer d’environ 60% le risque de cancer invasif. De surcroît, chez les patients intégrés à un programme de dépistage le cancer de l’anus est diagnostiqué à un stade plus précoce et est donc de meilleur pronostic. Ainsi tout patient présentant des symptômes proctologiques doit bénéficier d’un examen clinique pour éliminer un cancer invasif. En revanche, l’examen proctologique standard est insuffisant pour le diagnostic de lésion précancéreuses puisque moins de 40% de lésions de haut grade sont visibles à l’œil nu. Pour les patients asymptomatiques, les dernières recommandations françaises préconisent la réalisation, en première intention, d’un test HPV16 (PCR), suivi, en cas de positivité, d’une cytologie anale. La cytologie anale est environ deux fois plus sensible que l’examen clinique pour le dépistage des HSIL. Ces tests sont réalisés à partir d’un frottis anal. Le test HPV16 est moins sensible que la cytologie pour le dépistage des HSIL. En revanche il est plus spécifique. Par ailleurs la réalisation première du test HPV16 permet de repérer, au sein des patients à très haut risque, les patients les plus susceptibles d’avoir des lésions précancéreuses pouvant évoluer vers le cancer. Ainsi les stratégies de dépistage doivent intégrer l’histoire naturelle des lésions précancéreuses anales (et notamment la possibilité d’une disparition spontanée des lésions). En cas d’anomalies à l’examen clinique et/ou cytologiques (seuil retenu d’ASC-US), une anuscopie haute résolution (AHR) est indiquée. C’est l’examen de référence pour le diagnostic des lésions précancéreuses anales. Elle consiste à examiner l’anus à fort grossissement (magnification de l’image) à l’aide d’un colposcope ou d’un matériel dédié. Afin de mettre en évidence ces lésions, on utilise également des colorants vitaux (acide acétique 5% et Lugol). Les lésions précancéreuses présentent des anomalies de surface, vasculaires et de coloration (figure 2).
Le diagnostic doit être systématiquement confirmé histologiquement par des biopsies ciblées. La corrélation anatomo-clinique reste imparfaite. L’AHR permet également le traitement ciblé des HSIL et est indiquée pour le suivi après traitement (figure 3).
Toutefois, la faible diffusion de l’AHR limite son accessibilité. Une formation spécifique est nécessaire. En l’absence d’accès à l’AHR, elle sera remplacée par un examen proctologique standard annuel chez les patients à risque porteurs d’un HPV 16.
Les principaux traitements des lésions dysplasiques utilisés en proctologie sont l’application d’imiquimod, la photocoagulation infrarouge, l’électrocoagulation au bistouri électrique et l’exérèse chirurgicale (tableau 4).
Indication | Efficacité (%) | Récidive (%) | Complications | |
Imiquimod (VIH+) | Marge anale et canal anal Lésions multifocalesCI aux traitements ablatifs | 30-86 | 15-50 | Dermite Syndrome pseudo-grippal |
Electrocoagulation | Marge anale et canal anal Lésions non circonférentielles | 33-79 | >50 | Douleurs Saignements Sténose Retentissement sexuel |
Photocoagulation infrarouge | Canal anal ≤ 3 lésions≤ 15mm | 37-93 | 65 | Douleurs Saignements |
Exérèse chirurgicale | Marge anale et canal anal Lésion focale≤ 30-50% de la circonférenceSuspicion d’invasion | * | 11-40 | Douleurs Saignements Sténose Incontinence Retentissement sexuel |
Il est essentiel avant tout traitement d’éliminer un cancer invasif. Le choix de l’un ou l’autre des traitements repose, en autres, sur : la localisation des lésions, leur nombre, leur taille, la pratique d’une sexualité anale et un éventuel doute sur une dégénérescence. La balance bénéfice-risque doit être (ré)évaluée (risque évolutif des lésions, retentissement sur la sexualité anale, la continence, etc.). Le risque de récidive après traitement est élevé, jusqu’à 50 % à 1 an. La surveillance au long cours des patients est nécessaire. Rappelons que la vaccination précoce contre le HPV (filles et garçons) est le moyen de prévention primaire le plus efficace. La vaccination en prévention secondaire, après traitement des HSIL, n’a pas montré son efficacité.
Sources et références
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- https://www.snfcp.org/wp-content/uploads/2017/03/Recommandations-pour-la-pratique-clinique-2022-texte-court.pdf
- Clifford GM, Georges D, Shiels Ms, et al. A meta-analysis of anal cancer incidence by risk group: Toward a unified anal cancer risk scale. Int J Cancer 2021 ; 148 : 38-47.
- Palefsky JM, Lee JY, Jay N, et al. Treatment of anal high-grade squamous intraepithelial lesions to prevent anal cancer. N Engl J Med 2022 ; 386 : 2273-82.
- Clarke MA, Deshmukh AA, Suk R, et al. A systematic review and meta-analysis of cytology and HPV-related biomarkers for anal cancer screening among different risk groups. Int J Cancer 2022 ; 151 : 1889-901.
- Wei F, Gaisa MM, D’Souza G, et al. Epidemiology of anal human Papillomavirus infection and high-grade squamous intraepithelial lesions in 29 900 men according to HIV status, sexuality, and age: a collaborative pooled analysis of 64 studies. Lancet HIV 2021 ; 8 : e531-e543.
- Brogden DRL, Walsh U, Pellino G, et al. Evaluating the efficacy of treatment options for anal intraepithelial neoplasia: a systematic review. Int J Colorectal Dis 2021 ; 36 : 213-26.