En 1686, à l’apogée de son règne, le Roi Soleil Louis XIV se plaint d’une « petite tumeur devers le périnée, à côté du raphé, à deux travers de doigt de l’anus, assez profonde, peu sensible au toucher, sans douleur, ni rougeur, ni pulsations (…) mais qui ne tarde pas à grossir et à durcir » 1.
Ni les clystères, ni les cataplasmes proposés par les médecins de sa majesté (notamment Guy-Crescent Fagon (1638-1718)) ne viennent à bout de ce mal « qui semble procéder d’une méchante disposition du dedans et assez difficile à guérir entièrement » : Louis XIV souffre tout simplement d’une fistule anale (probablement trans-sphinctérienne supérieure antéro-latérale).
1686 devient l’année de la fistule, avec une succession de rémissions et de rechutes abcédées. Le roi maigrit, ne monte plus à cheval et ne se montre plus à la chasse : la cour s’inquiète et les rumeurs les plus folles sur le mal qui touche le Roi vont bon train. Cela retentit sur les affaires du royaume et la perspective d’un geste chirurgical se précise.
Avec l’aval de Fagon, le chirurgien du roi, Charles-François Félix (1635-1703), propose « une incision occasionnant une douleur de quelques minutes qui le soulagerait absolument ».
Le roi se laisse convaincre, non sans faire s’exercer Félix in vivo (comme Ambroise Paré en son temps pour Henri II) sur des malades « réquisitionnés » pour l’occasion à la Bastille et dans les hospices de Paris. Le praticien développe un « bistouri à la royale » spécialement pour l’occasion, « en forme de croissant, au tranchant recouvert d’une chape d’argent, à l’extrémité se prolongeant par un stylet long et flexible. » 1, 2
Le 18 novembre 1686 au matin, a lieu dans le secret de la chambre du roi à Versailles la « Grande opération ». On installe le souverain sur le bord de son lit, un traversin sous le ventre pour lui élever les fesses, pendant que deux apothicaires lui maintiennent les jambes écartées. Avant de laisser faire le chirurgien, le roi dit tout haut : « Mon Dieu, je me remets entre vos mains ».
Sans anesthésie, Félix « introduisit une sonde, au bout d’un bistouri fait exprès, tout le long de la fistule jusque dans le boyau qu’il joignit avec le doigt de la main droite et, le retirant en bas, ouvrit la fistule avec assez de facilité et, ayant ensuite introduit des ciseaux dans le fondement par la plaie, il coupa l’intestin un peu au-dessus de l’ouverture et coupa toutes les brides qui se trouvaient dans l’intestin ».
Durant l’intervention, « le front de Félix dégouttait de sueur » mais le roi tient serrée la main de son ministre de la Guerre et ne se plaint pas. Il répète seulement : « Est-ce fait, Messieurs ? Achevez et ne me traitez pas en roi ; je veux guérir comme si j’étais un paysan. » 1, 2, 3
L’opération est un succès : l’après-midi même, le roi préside son Conseil après une saignée. Le jour suivant, il reçoit des ambassadeurs.
Félix est gratifié royalement de « la terre de Moulineaux » ainsi que d’une forte somme d’argent (300 000 livres semble-t-il), et redonne du crédit à la corporation de Saint-Côme des chirurgiens face aux médecins de la Faculté. Ainsi, « les misères du prince ont fait du 18 novembre 1686 une sorte de tournant dans l’histoire de la chirurgie ».
Sur une note plus légère (qui fait tout de même débat parmi les historiens), il est dit que le motet mis en musique par Lully pour remercier Dieu de la guérison du souverain, « Grand Dieu, sauvez le Roy ! », aurait tellement séduit Haendel en visite à Paris en 1714, que celui-ci l’aurait ramené dans ses valises en Angleterre et en aurait fait le « God Save the King » en l’honneur de Georges 1er, hymne actuel de nos voisins britanniques ! 3.