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Les tumeurs rétrorectales : en avant toute ! – 2/3 – Symptômes et bilan

Par le Dr L. Spindler, le Dr D. Mege et le Dr François Pigot

Symptômes

Les TRR sont longtemps asymptomatiques du fait d’une croissance lente et d’une évolution volontiers « indolente » qui peuvent retarder le diagnostic. Elles sont parfois diagnostiquées de manière fortuite lors d’un examen clinique (proctologique ou gynécologique), endoscopique (visualisation d’une compression extrinsèque) ou radiologique. Dans l’étude de Gould et al incluant 143 patients, un quart des patients était asymptomatique au diagnostic et dans 20% des cas la tumeur était diagnostiquée fortuitement sur un examen d’imagerie. La proportion de patients asymptomatiques augmentait dans le temps (10% sur la période 1990-1999 contre 33% sur la période 2010-2019) [9]. Cette augmentation des formes asymptomatiques est probablement secondaire au développement de l’imagerie et au nombre croissant d’examens réalisés pour d’autres motifs. Lorsque la tumeur devient symptomatique, la douleur est le symptôme le plus courant. Elle concerne près de la moitié des patients [9]. La douleur peut être lombaire, abdominale ou pelvienne voire irradier aux membres inférieurs (sciatalgies) en cas de compression radiculaire. Elle peut être augmentée à la position assise et soulagée par la position debout. La douleur est dans tous les cas un signe d’alarme [9]. Elle peut témoigner d’une surinfection, d’une hémorragie intra-kystique voire d’une dégénérescence [2]. Dans l’étude Glasgow et al, la douleur était présente chez 71% des patients ayant une TRR maligne contre 22% des patients ayant une TRR bénigne [19]

Les autres symptômes sont très variables allant de la dyschésie (par refoulement du rectum) à la dyspareunie en passant par les signes fonctionnels urinaires. Ils sont résumés dans le tableau 3. Rarement, la tumeur peut se fistuliser à la peau ou au rectum [5].

Symptômes
Douleurs (pelvienne, abdominale, lombaire)
Gêne rectale, sensation de pesanteur pelvienne ou de corps étranger intra-rectal
Dyschésie
Dysurie
Dystocie
Dyspareunie
Troubles sexuels
Troubles de la continence anale et/ou urinaire
Paresthésies des membres inférieurs, sciatalgie
Méningite
Fossette cutanée du sillon interfessier avec issue de cheveux, poils, sébum
Suppuration rétro-anorectale récidivante d’origine non cryptoglandulaire
Tableau 3 : Principaux symptômes des TRR.

A l’examen clinique, la présence d’une fossette cutanée est évocatrice d’un kyste vestigial mais ce signe est inconstant et peut orienter à tort vers un diagnostic de sinus pilonidal.

Dans près de 90% des cas, la tumeur est palpable au toucher rectal [2,3,5], qui est d’ailleurs utile pour préciser les rapports et les limites de la tumeur.

Bilan diagnostique et bilan d’extension

L’IRM avec injection de gadolinium est l’examen de référence pour le diagnostic et le bilan d’extension loco-régionale des TRR [2,3,5,10,20,21,22]. Elle offre une résolution en contraste supérieure au scanner. Ainsi l’IRM permet de déterminer l’origine anatomique de la tumeur (neurogène, osseuse, digestive ou autre), d’analyser ses dimensions et ses rapports avec les structures anatomiques adjacentes (racines nerveuses, sac dural). Elle permet notamment d’éliminer une méningocèle sacrée antérieure (biopsie formellement contre-indiquée du fait d’un risque de méningite). Elle est ainsi essentielle au bilan pré-thérapeutique afin de guider la chirurgie.

L’IRM permet également de caractériser la tumeur en fonction de sa nature, solide, kystique (uni- ou multi-loculaire) ou mixte, ainsi qu’en fonction de son contenu (hémorragique, mucineux ou graisseux). Ces éléments permettent d’approcher le diagnostic même si l’analyse histologique reste la référence [21]. Nous proposons un algorithme diagnostique en fonction des caractéristiques IRM des TTR (Figure 5). Par ailleurs, l’IRM (couplée au scanner) a une sensibilité et une spécificité supérieures à 80% pour le diagnostic de malignité. La présence d’une composante solide est le principal signe de malignité [23,24].  Les signes radiologiques suspects de malignité sont résumés dans le tableau 4.

Figure 5 : TRR, orientation diagnostique à l’IRM
Figure 5 : TRR, orientation diagnostique à l’IRM
Nature de la tumeurSolide
SignalHétérogène
LimitesIrrégulières, envahissement des organes adjacents et du sacrum
RehaussementVariable
TailleCroissance rapide
Tableau 4 : Critères IRM de malignité [19, 20]

Le scanner est complémentaire de l’IRM, particulièrement pour les tumeurs osseuses ou pour rechercher la présence de calcification intra-lésionnelle. Il permet également le bilan d’extension à distance, des TRR malignes. En revanche, il est nettement moins performant que l’IRM pour évaluer le caractère malin ou bénin de la tumeur. En pratique, le scanner est souvent un examen de « débrouillage », devant des douleurs abdominales par exemple, qui pose le diagnostic de TRR. Le scanner permet aussi la réalisation de biopsies radioguidées.

La place de la biopsie dans la prise en charge des TRR a longtemps été sujet de controverses. Historiquement, la biopsie des TRR était proscrite, à cause du risque de complications (infection du kyste (voire de méningite en cas de méningocèle), fistulisation (notamment pour les ponctions transrectales), hémorragie et dissémination pour les tumeurs malignes [2, 3]), et d’une rentabilité diagnostique jugée insuffisante [5]. Mais la place de la biopsie a récemment évolué et ses indications se sont étendues parallèlement aux progrès techniques de l’imagerie et à la démocratisation des ponctions-aspirations à l’aiguille fine sous contrôle scannographique améliorant les performances diagnostiques tout en diminuant le risque de complications [10,22]. En effet, l’étude de Gould et al montre cette évolution : 12 patients (soit 8%) ont bénéficié d’une biopsie de la tumeur, 11 sur la période 2010-2019 contre 1 entre 1990 et 2009 [9].

Les performances diagnostiques de la biopsie sont supérieures à celle de l’imagerie pour préciser le type histologique de la tumeur et son caractère bénin ou malin. Dans le travail rétrospectif de Merchea et al, 73 patients ont bénéficié d’une ou plusieurs biopsies pré-opératoire(s). La concordance entre l’analyse histologique de la biopsie et celle de la pièce opératoire était supérieure à 90%. Pour le diagnostic de malignité, les performances diagnostiques de la biopsie étaient proches de 100% (environ 80% pour l’imagerie) [5,25]. Inversement, le taux de complication était faible, seuls 2 patients ont présenté des hématomes ne nécessitant pas de traitement spécifique.

En pratique, il faut proscrire les biopsies des tumeurs kystiques typiques car elles sont le plus souvent bénignes et le risque de complication est important. Une méningocèle antérieure doit toujours être éliminée car la biopsie expose alors à un risque de méningite. En revanche, en cas de tumeur solide ou non résécable, la biopsie est utile [10,22,24,26-28]. Pour les TRR malignes, le type histologique est une donnée importante en préopératoire. Il est susceptible de modifier la prise en charge chirurgicale et l’indication d’un traitement néoadjuvant (lymphome, GIST, tumeur d’Ewing, ostéosarcome, neurofibrosarcome, tumeur desmoïde) [10]. Les conditions de réalisation de la biopsie obéissent à des règles strictes (Tableau 5), permettant ainsi de réduire les potentielles complications [10,26,28].

Absence de trouble de la coagulation et de l’hémostase
Trajet transpérinéal ou para-sacré
Réalisée par un radiologue formé au diagnostic et à la prise en charge des TRR
Discussion avec le chirurgien Résection en bloc du trajet de l’aiguille avec la tumeur
Proscrire les biopsies transpéritonéales, transrétropéritonéales, transvaginales (trajet de la biopsie difficilement résécable, risque d’infection et de dissémination) Les biopsies transrectales sont à éviter sauf en cas d’invasion du rectum
Tableau 5 : Conditions de réalisation de la biopsie d’une TRR (d’après [22])

L’échoendoscopie rectale est d’indication plus limitée même si sa sensibilité diagnostique couplée au toucher rectal est proche de 100%. Elle permet de rechercher des signes d’invasion de la paroi rectale et d’évaluer les rapports de la tumeur avec le sphincter anal. L’échoendoscopie est performante pour le diagnostic de duplication rectale. Elle permet de visualiser avec précision toute l’épaisseur de la paroi (notamment la couche musculeuse) ainsi que la communication avec le rectum qui est plus difficile à visualiser sur l’IRM. Elle est également intéressante pour évaluer les rapports de la tumeur avec le sphincter anal. Les ponctions biopsies transrectales peuvent être envisagées en cas de tumeurs solides malignes pour lesquelles une exérèse élargie au rectum est indiquée emportant alors le trajet de la ponction qui peut être tatoué (Figures 6a, b).

Enfin, la rectosigmoïdoscopie montre un aspect de compression extrinsèque avec une muqueuse rectale normale (en l’absence d’envahissement). Elle peut parfois retrouver un orifice communiquant avec une duplication rectale. Surtout, elle élimine une tumeur de rectum, bien plus fréquente que les TRR [26].

Sources et références

D’après Spindler L, Fathallah N, Lefevre JH, Coletta IB, Amato R, de Parades V. Les tumeurs rétrorectales : ce qui se cache derrière… Hépato-Gastro et Oncologie Digestive 2019 ; 26 : 458-68.

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  2. Hobson KG, Ghaemmaghami V, Roe JP, Goodnight JE, Khatri VP. Tumors of the retrorectal space. Dis Colon Rectum 2005 ; 48 : 1964-74.
  3. Glasgow SC, Dietz DW. Retrorectal tumors. Clin Colon Rectal Surg 2006 ; 19 : 61-8.
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  5. Baek SK, Hwang GS, Vinci A, Jafari MD, Jafari F, Moghadamyeghaneh Z. Retrorectal tumors: A comprehensive literature review. World J Surg 2016 ; 40: 2001-15.
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