Par le Dr L. Spindler, le Dr D. Mege et le Dr François Pigot
La (difficile) prise en charge
Indications thérapeutiques
Dans certains cas, une simple surveillance radiologique est possible. Elle peut s’envisager pour les tumeurs kystiques non compliquées sans signe de malignité à l’IRM [28]. Cette attitude est rendue possible grâce aux progrès de l’imagerie notamment pour la caractérisation de ces tumeurs. Cependant le malade doit être informé des risques évolutifs :
- infectieux (tumeurs kystiques)
- croissance et compression des organes adjacents, dégénérescence en TRR maligne
- accouchement dystocique chez la femme jeune
- la part d’incertitude sur le caractère bénin ou malin de la lésion qui ne peut être formellement établi que par l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire [2]. L’adhésion à un programme de surveillance clinique et radiologique est donc fondamentale.
En dehors de cette situation (tumeur kystique non compliquée sans signe de malignité, surveillance régulière), l’exérèse chirurgicale des TRR est recommandée : exérèse complète de la lésion pour les tumeurs bénignes ; en bloc, élargie si besoin aux organes adjacents en cas de tumeur maligne [2,3,20].
Enfin, les TRR découvertes fortuitement, en peropératoire, ne doivent pas être réséquées d’emblée mais seulement après un bilan paraclinique complet pour déterminer la nature de la tumeur (éliminer une méningocèle ou un kyste radiculaire de Tarlov par exemple). Un algorithme de prise en charge est proposé sur la figure 7.
Techniques chirurgicales
La chirurgie des TRR est un défi pour le chirurgien. D’une part, il faut accéder à un espace étroit dans lequel cheminent des nerfs, avec les uretères et les vaisseaux iliaques en périphérie. D’autre part, l’exérèse en bloc R0 pour les tumeurs malignes peut être difficile et délabrante, étendue parfois aux organes de voisinage dont le rectum [29]. Dans les cas les plus complexes, une prise en charge pluridisciplinaire (chirurgien digestif, orthopédique, plastique, neurochirurgien, etc.) est nécessaire [3]. Toutefois, elle constitue le seul traitement curatif et diminue le risque de récidive [2,3,10]. Pour les tumeurs bénignes, l’exérèse doit être faite sans effraction du kyste [20]. Ces difficultés techniques expliquent le taux élevé de complications postopératoires, environ 13% (toutes techniques confondues), et le taux élevé de récidives, autour de 20% (notamment en cas d’exérèse incomplète) [5,21]. Les principales complications sont les saignements, les infections mais aussi les complications neurologiques (vessie neurologique, troubles de la continence, douleurs, déficits sensitivo-moteurs), les plaies rectales et urétérales [5]. La survie à 5 ans en cas de TRR maligne est comprise entre 60 et 75% [28,30].
Trois voies d’abord sont possibles pour l’exérèse des TRR : la voie haute (abdominale : extrapéritonéale ou péritonéale), la voie basse (périnéale, trans-sacrée et para-sacrococcygienne) et l’approche combinée. Le choix de la voie d’abord dépend de la localisation, de la taille et des rapports de la TRR avec les structures adjacentes, ainsi que de l’expérience du chirurgien [2, 3, 5] (Figure 8).
La voie haute ou abdominale est privilégiée pour les tumeurs bénignes ou malignes, dont le pôle inférieur se situe au-dessus de S3 et sans envahissement du sacrum [2,3,5,26]. Si la laparotomie peut être préférée pour les tumeurs malignes, la chirurgie minimalement invasive (coelioscopie, robotique) est tout à fait appropriée. Aubert et al rapportaient 73.5% de voie coelioscopique pour les résections par voie abdominale (n=72/270, 27%) [31]. Le rectum est d’abord disséqué et l’artère sacrale moyenne est ligaturée. Puis la tumeur est isolée du fascia présacré. En cas d’envahissement rectal, une exérèse partielle du rectum suivie d’une anastomose colorectale peut être pratiquée [32]. L’avantage de l’abord antérieur est qu’il permet au chirurgien d’avoir une excellente exposition des vaisseaux iliaques et des uretères. Elle est donc particulièrement intéressante en cas d’intervention à haut risque hémorragique. La morbidité reste cependant élevée, près de 20%, supérieure à l’approche par voie basse [28].
Contrairement à la voie haute, la voie basse seule est généralement réservée aux TRR bénignes situées en dessous de S3-S4 sans envahissement viscéral [2,3,5]. Le pôle supérieur de la tumeur est typiquement palpable au toucher rectal. Le patient peut être installé agenouillé en décubitus ventral, « prone jack-knife ». L’intervention de Kraske (Figure 9) consiste en une incision verticale (para)médiane entre l’anus et le coccyx au travers du ligament anococcygien afin d’accéder à l’espace rétrorectal [26]. En cas de tumeur volumineuse et/ou de présentation difficile, une coccygectomie voire une excision de S4-S5 est effectuée. C’est la voie d’abord privilégiée en cas d’atteinte nerveuse car elle permet une meilleure exposition des racines sacrées [13]. Cependant par rapport à la voie haute elle expose à un risque plus élevé de saignement [5,30,31]. Le taux de complications postopératoires est globalement inférieur à 10% [28,30].
Aubert et al ont rapporté que la voie d’abord abdominale concernait des patients différents de la voie basse (plus symptomatiques, avec des TRR de plus grande taille, et situées au-dessus de la 3ème vertèbre sacrée pour la voie abdominale), avec des suites opératoires différentes (moins d’abcès de paroi mais plus d’iléus et de fistule rectale), sans différence significative entre les deux voies d’abord en termes de taux de récidive. A long terme, la voie abdominale était plus souvent associée à des troubles fonctionnels urinaires et dyschésiques, tandis que la voie basse était plus à risque de douleurs chroniques [15].
L’approche combinée est intéressante en cas de volumineuse tumeur envahissant le sacrum ou d’infection qui rendent difficile la mise en évidence des plans de dissection. Elle combine les avantages (meilleure exposition) et les inconvénients des voies haute et basse (taux de complication élevé supérieur à 25% et durée d’hospitalisation plus longue) [28].
En cas de volumineuse tumeur, pour limiter le risque hémorragique, certaines équipes proposent une embolisation de la tumeur avant la chirurgie. Cette approche est discutable en raison des complications possibles (nécrose, infection, etc. ) et n’est pas validée à ce jour [26,32].
Par ailleurs, les techniques chirurgicales « mini-invasives » se développent. Il s’agit de la chirurgie assistée par robot utilisée pour de volumineuses tumeurs [33] et du TEMS (Transanal endoscopic microsurgery) pour les petites TRR bénignes [26]. Toutefois, pour le TEMS les indications apparaissent extrêmement limitées (exérèse non carcinologique) et il est parfois difficile de faire la part en pré-opératoire entre une lésion bénigne et lésion maligne [34]. Les données manquent encore pour valider ces traitements [26], d’autant plus qu’en cas de TEMS, une ouverture à travers le rectum est réalisée, potentielle source de surinfection.
Enfin, quelle que soit la voie d’abord, en cas de chirurgie mutilante, une reconstruction par des chirurgiens plasticiens peut être nécessaire.
En dehors du traitement chirurgical, certaines tumeurs peuvent nécessiter un traitement néoadjuvant, pour réduire le volume tumoral, afin de faciliter le geste chirurgical (et par exemple permettre la conservation sphinctérienne) mais également pour diminuer le risque de récidive. Il s’agit principalement de :
- radiochimiothérapie pour le lymphome
- imatinib pour les GIST
- chimiothérapie pour le sarcome d’Ewing et l’ostéosarcome [10,11].
Pour le chordome, une radiothérapie adjuvante a été proposée en cas de récidive ou de marges chirurgicales positives, ainsi qu’une chimiothérapie adjuvante par imatinib ou cetuximab [10,11]. Cependant, du fait de la rareté de ces lésions, il n’y pas d’essai randomisé contrôlé permettant de valider définitivement les modalités et l’indication d’un traitement néo- et/ou adjuvant [26].
Conclusion
Les tumeurs rétrorectales sont rares et diverses mais chaque praticien peut un jour y être confronté. Il faut donc les connaître. L’IRM a un rôle majeur dans la caractérisation des tumeurs rétrorectales, bénignes ou malignes, et dans le bilan d’extension. La prise en charge est pluridisciplinaire, en centre expert, et individualisée. Les principales questions à se poser devant la découverte d’une tumeur rétrorectale sont résumées dans le tableau 6.
1/ tumeur bénigne ou maligne ? |
2/ biopsie ou non ? |
3/ surveillance simple ou traitement ? |
4/ si chirurgie, voie basse ou voie haute ou les deux ? |
Messages clés
- Les tumeurs rétrorectales sont un groupe de tumeurs rares et diverses se développant au sein de l’espace rétrorectal. Elles sont le plus souvent bénignes et congénitales avec une nette prédominance féminine. Elles sont souvent diagnostiquées fortuitement.
- L’hamartome kystique (ou tailgut cyst) est la tumeur bénigne la plus fréquente. Le chordome est la tumeur maligne la plus fréquente.
- L’IRM est l’examen de référence pour le diagnostic et le bilan des TRR et permet de guider la prise en charge.
- La biopsie peut se discuter en cas de tumeur solide afin de préciser le type histologique de la tumeur.
- Le traitement est chirurgical en cas de lésion maligne mais également en cas de lésion bénigne symptomatique. Dans le cas de petites tumeurs kystiques non compliquées, une surveillance clinique et radiologique régulière peut être proposée.
Sources et références
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