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Le réflexe toux-anus : un concept has-been ? une enquête du Dr Maxime Collard

La recherche fondamentale est la clef de voûte de l’avenir de notre discipline. Cette chronique Eurêka ! prend comme point de départ un article récent de science fondamentale, quelle qu’en soit la discipline, mais entrant en résonance avec la colo-proctologie afin d’en faire émerger l’originalité que ce soit par son caractère novateur, par sa perspective, par son caractère contre-intuitif ou encore par sa démarche scientifique surprenante.

Sur les bancs de la faculté, nous avons appris que lorsque nous toussons, la pression intra-abdominale s’élève brutalement suite à la contraction des muscles abdominaux permettant de refouler vigoureusement le diaphragme contre les poumons. Ces derniers se retrouvent alors comprimés par les coupoles diaphragmatiques d’une part ainsi que par la paroi thoracique d’autre part suite à la contraction des muscles intercostaux. Cette compression pulmonaire soudaine et intense au cours d’un effort de toux est la clé d’une expectoration efficace. Mais ce phénomène physiologique admirable n’est pas sans effets collatéraux car le périnée doit lui aussi pouvoir supporter cette hyperpression intra-abdominale brutale. Entre autres, le risque de fuites de gaz voire de selles au cours d’un effort de toux devrait alors être maximal. Bienheureusement, une contraction inconsciente du sphincter anal survient au moment d’un effort de toux nous préservant ainsi de tout épisode d’incontinence concomitant malencontreux. Il est apparu logique que cette contraction involontaire du sphincter anal corresponde à un simple réflexe en boucle fermée : plus la pression abdominale augmente, plus le sphincter anal se contracte assurant une stabilité de la continence.

Malgré le caractère intellectuellement satisfaisant de cette contraction réflexe du sphincter anal suite à un effort de toux, une équipe française a décidé d’étudier empiriquement plutôt que théoriquement cette hypothèse. [1] Et ils ont bien fait ! Dans leur travail, Deffieux et al. ont mesuré l’activité électromyographique du sphincter anal, des muscles intercostaux ainsi que la pression intra-abdominale au cours d’un effort de toux chez des patientes ne souffrant d’aucun trouble connu sur le plan digestif. Si la contraction de l’anus est un réflexe induit par l’hyperpression intra-abdominale, il devrait alors survenir peu de temps après cette augmentation de la pression intra-abdominale. Or les auteurs rapportent dans leur travail un résultat diamétralement opposé à savoir que la contraction du sphincter était toujours antérieure à l’hyperpression intra-abdominale et à la contraction des muscles intercostaux au cours d’un effort de toux. Les choses semblent plus élaborées que prévu… Le réflexe toux-anus ne serait-il pas un simple réflexe médullaire ? Cette étude ne remet pas en cause l’existence d’un réflexe toux-anus permettant un ajustement secondaire de la contraction du sphincter à la pression anale mais montre que l’essentiel  de la contraction du sphincter anal au cours d’un effort de toux survient plus d’une demi-seconde en amont de l’augmentation de la pression abdominale et non après. Il y aurait donc une pré-programmation de cette contraction sphinctérienne.

Sur le plan neurologique, la toux n’est pas un simple réflexe médullaire répondant à une irritation pulmonaire mais est un processus orchestré par diverses structures du système nerveux central incluant notamment certains territoires corticaux. [2] Ces circuits neurologiques de programmation de la toux pourraient donc anticiper la contraction du sphincter anal peu de temps avant la toux. Bien que les détails précis de cette synchronisation cérébrale n’aient pas encore été élucidés à ce jour, l’étude de Deffieux et al. déconstruit l’hypothèse d’un simple réflexe anal et souligne par la même occasion la complexité de la continence et des mécanismes mis en œuvre par l’organisme pour la préserver.

Plus récemment, une revue de la littérature publiée par Cavallari et al. nous propose une analogie subtile entre cette contraction anticipée du sphincter anal au cours de la toux et un phénomène neurologique appelé l’ajustement postural anticipé. [3] Cet ajustement postural anticipé correspond à l’ensemble des contractions musculaires involontaires précédant un mouvement moteur primaire dont le but est de contrebalancer le déséquilibre qui va être engendré par le mouvement à venir. Par exemple, lorsque nous tendons notre bras en avant, peu de temps avant l’initiation de ce mouvement, entre la décision de le réaliser et la contraction des muscles du bras, il s’opère de manière inconsciente une modification du tonus dans les muscles des membres inférieurs afin de déplacer le centre de gravité vers l’arrière nous évitant un déséquilibre postural induit par le mouvement du bras vers l’avant. À chaque mouvement que nous réalisons, il y a une pré-programmation qui s’opère nous permettant de conserver notre posture sans que nous tombions en arrière à chaque fois qu’on lève la tête par exemple. La courbe d’apprentissage de cet ajustement postural anticipé est longue, l’enfant de 6 à 8 ans observe une instabilité posturale bien plus importante que l’enfant de 10 à 12 ans alors que la motricité primaire telle que la marche ou bouger les bras dans l’espace est pourtant bien acquise à 6-8 ans. L’ajustement postural anticipé est donc une acquisition particulièrement sophistiquée qui s’optimise au moins jusqu’à l’âge de 10 ans. Comme le soulignent Cavallari et al. l’ajustement du sphincter anal lors d’un effort de toux fait étrangement penser à cet ajustement postural anticipé : pour le premier le sphincter anal se contracte en amont de l’hyperpression afin d’éviter l’incontinence, pour le second les muscles posturaux se contractent en amont d’un mouvement volontaire pour éviter le déséquilibre, tous deux sont une pré-programmation inconsciente, tous deux nécessitent un apprentissage long puisque l’équilibre comme la continence anale est correct à l’âge de 6 ans mais pas aussi optimale qu’à l’âge de 10 ans et enfin ces deux phénomènes répondent à un principe appelé homéostasie prédictive défini par l’ensemble des actions collatérales conduites en amont d’un mouvement afin de corriger le déséquilibre que ce mouvement va induire. La conclusion de cette astucieuse revue de la littérature, Cavallari et al. suggère de considérer la contraction du sphincter de l’anus en réponse à la toux comme un ajustement sphinctérien anticipé, cousin viscéral de l’ajustement postural anticipé. D’un questionnement aussi burlesque que la continence anale à la toux, et par un protocole expérimental relativement simple de mesure de pressions et d’électromyographies, les chercheurs ont réussi à retourner les idées préconçues à ce sujet, à proposer une nouvelle hypothèse physiologique et à ouvrir d’intéressantes perspectives de recherche. Au-delà du fait que nous ne tousserons plus jamais de la même manière après avoir lu ces travaux, nous retiendrons aussi que toute question mérite d’être posée.

Références :

  1. Deffieux X, Raibaut P, Rene-Corail P, Katz R, Perrigot M, Ismael SS, et al. External anal sphincter contraction during cough: not a simple spinal reflex. Neurourol Urodyn 2006; 25: 782-7.
  2. Mazzone SB, McGovern AE, Cole LJ, Farrell MJ. Central nervous system control of cough: pharmacological implications. Curr Opin Pharmacol 2011; 11: 265-71.
  3. Cavallari P, Bolzoni F, Esposti R, Bruttini C. Cough-Anal Reflex May Be the Expression of a Pre-Programmed Postural Action. Front Hum Neurosci 2017; 11: 475.