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Le Pétomane

Selon son fils, le « plus grand artiste comique et amuseur de tous les temps … » !

D’après Le pétomane, sa vie, son œuvre, J. Nohain et F. Caradec, Jean-Jacques Pauvert ed., Paris, 1967.

Vous rencontrerez peut-être en consultation un enfant accompagné de ses parents dans des conditions similaires à celles qui amenèrent Joseph Pujol (1857 Marseille- 1945 Toulon) et sa mère à voir leur médecin. En se baignant, Joseph aspira involontairement de l’eau de mer dans son rectum. Ce grand froid abdominal, puis le rejet d’une quantité d’eau l’inquiéta. Rassuré par l’homme de science, il évita toutefois les bains de mer.

Il n’oublia pas complètement cette aventure car, jeune cuirassier, il divertissait ses camarades en expulsant en jet de l’eau ainsi absorbée, ou de l’air dont il arrivait à moduler les sons. Assez tôt, il se produisit en public, localement, en Province, puis au Moulin Rouge à Paris à partir de 1892. Le numéro du Pétomane, imitation de pets variés (de la mariée, de la belle-mère, de la couturière), extinction de becs de gaz, morceaux de flute, imitation d’instruments (à vent) rencontra vite un franc succès, ce qui permit à sa famille de vivre très confortablement. Les recettes de ses représentations dépassèrent celles des autres artistes du Moulin Rouge, y compris Sarah Bernhardt.

Il fit même des tournées en Europe et en Afrique du Nord, provoquant parfois, comme en Espagne, des erreurs de sémantique humoristique.

En 1895, il quitta le Moulin Rouge pour monter son propre théâtre forain, le Théâtre Pompadour. Il perfectionna sa technique et pouvait imiter des sons d’animaux et d’oiseaux, illustrant un texte poétique !

Propriétaire d’un instrument qu’il ne pouvait se faire voler et « seul artiste à ne pas payer de droits d’auteur », il connut toutefois des mésaventures judiciaires lors de procès intentés pour exercice de son art auprès d’amis en dehors du Moulin Rouge pendant qu’il lui était lié par contrat, puis après rupture de ce contrat quand il prit le vent pour s’établir à son compte. Lui-même intenta un procès contre celle qui le remplaça au Moulin Rouge avec des soufflets sous ses jupes…

La grande guerre interrompit ses activités artistiques qu’il ne reprit plus après l’armistice. Il se consacra à un commerce de pains de régime et à sa famille nombreuse de 10 enfants.

La Faculté de Médecine lui offrit une somme conséquente pour avoir le droit de l’autopsier après son décès, offre refusée par sa famille. Nous ne saurons donc pas quelle particularité anatomique lui permettait ces exploits. Aujourd’hui, un bilan en explorations fonctionnelles ano-rectales aurait répondu à moindre prix à notre curiosité. Toutefois des sommités médicales de l’époque l’ont examiné et certains ont évoqué une similitude avec la loche des étangs (Cobitis fossilis) qui respire par son intestin. Ils purent observer que c’est par une dépression abdominale provoquée lors d’une manœuvre de Valsalva inversée qu’il remplissait son rectum, et probablement une partie de son côlon.

J’ai brièvement rapporté cette histoire au jeune homme amené par ses parents, qui gonflait d’air son rectum en bloquant sa respiration. Je ne sais si je les ai rassurés sur la bonne santé de leur enfant, et sur ma bonne santé mentale quand je lui ai rapporté le succès que ce « don de nature » avait apporté à Joseph Pujol.

« Dilettantes de la musique,
O parisiens de Paris,
Il est entré l’artiste unique
Dont votre cœur est tout épris,

Celui qui, sans ouvrir la bouche
Assez même pour dire zut
Ou laisser passer une mouche,
Pousse cependant de tels ut ; … »

Raoul Ponchon, 1892

A lire aussi, « Evguénie Sokolov » de Serge Gainsbourg (éditions NRF 1980), les mémoires d’un pétomane qui souffrit toute sa vie de l’absence de contrôle de ses émissions, et mourut d’une explosion du sigmoïde lors d’un geste endoscopique d’électrocoagulation…