Introduction
Située sur la côte est du continent africain, la Tanzanie est un vaste pays peuplé de plus de 67 millions d’habitants dont le revenu moyen est estimé à 400 USD/an. 36 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté.
La population y est très jeune (âge médian de 17 ans) et le taux de natalité élevé avec 4.6 enfant/femme. A taille de population équivalente et pour comparaison, l’âge médian en France est de 43,7 ans pour les femmes et 40,9 pour les hommes, et le taux de natalité de 1.8 enfant/femme.
En Tanzanie, l’accès aux soins est difficile car les distances à parcourir sont importantes, les coûts et l’attente souvent dissuasifs.
A première vue, les problèmes périnéaux semblent donc marginaux en Tanzanie.
Le Dr Peter Majinge du CCBRT (Comprehensive Community Base Rehabilitation in Tanzania) de Dar-Es-Salaam nous éclaire sur une problématique de santé publique : les fistules post-obstétricales.
Les fistules, un fléau aux conséquences dévastatrices
On estime à 3000, le nombre annuel de nouvelles fistules en Tanzanie.
Ces fistules ne sont pas d’origine cryptoglandulaire, comme la plupart des cas traités en Europe. En effet, la cause principale de ces fistules est obstétricale.
Interrogé sur l’origine de cette pathologie, le Dr Peter Majinge identifie plusieurs éléments.
La première raison évoquée est le suivi de la grossesse. Le diagnostic prénatal est quasiment inexistant, et les éléments faisant craindre des difficultés lors de l’accouchement ne sont pas décelés en amont (retard de croissance, macrosomies, position du bébé, position du placenta, infection, etc..).
A cela s’ajoutent un taux de natalité très élevé et un accès limité aux soins médicaux. Dans ces conditions, un grand nombre d’accouchements, en particulier dans les campagnes où vit 70% de la population, ont lieu à domicile, rarement en présence d’une sage-femme. Il n’est pas inhabituel que l’accouchement dure de nombreuses heures et/ou se solde par la naissance d’un enfant mort-né.
Avec 173 gynécologues, la Tanzanie ne dispose pas des ressources médicales nécessaires à l’encadrement des naissances. Les lésions obstétricales du sphincter anal (LOSA) sont souvent méconnues ou banalisées et ne font qu’exceptionnellement l’objet d’une réparation primaire.
De plus, pour des raisons culturelles, les lésions périnéales induites par ces accouchements sont généralement cachées à l’entourage (on estime que le délai entre la lésion et la première consultation est d’environ 8 ans) et lorsque les femmes concernées souffrent d’incontinence urinaire et/ou fécale, elles peuvent être rejetées par leur conjoint et leur famille. Souvent victimes de discrimination, elles sont forcées de vivre en marge de la société.
Les fistules post-obstétricales, au cœur de la formation
Pour répondre à la grande détresse physique et psychologique induite par la survenue de fistules, le gouvernement tanzanien a mis en place, il y a une vingtaine d’années, un « programme national de fistules». Les objectifs d’un tel programme sont de prévenir et de traiter les fistules post-obstétricales.
Le Dr Peter Majinge travaille dans un centre de soins non gouvernemental, subventionné par des fonds publics et privés. Il est gynécologue et spécialiste en chirurgie des fistules (formateur FIGO). Il est responsable de l’«unité fistule», la plus grande de Tanzanie, et à ce titre, participe à la formation des chirurgiens généraux et obstétriciens au traitement des fistules. A travers un programme soutenu par diverses ONG, comme Second Chance, il sensibilise aux facteurs de risque de survenue des traumatismes obstétricaux, à leur prévention et à leur prise en charge.
Dans ce centre de soins situé à Dar-Es-Salaam, les patientes sont prises en charge par une équipe dédiée et expérimentée. La plupart d’entre elles viennent de la capitale ou de régions limitrophes, mais certaines effectuent un trajet de plusieurs centaines de kilomètres pour bénéficier d’une prise en charge adaptée.
Dans sa pratique, le Dr Peter Majinge fait face à plusieurs types de lésions post-obstétricales :
- Les fistules vésico-vaginales, souvent dues à un accouchement prolongé induisant une ischémie
- Les lésions urétérales iatrogènes lors de césariennes réalisées en urgence dans des conditions techniques difficiles, tardives, par des médecins peu formés à la pratique
- Les fistules rectovaginales, de hauteur variable
- Les lésions sphinctériennes de type LOSA de 3e et 4e degrés.
Les interventions sont pratiquées sous rachianesthésie au cours d’une courte hospitalisation de 48 heures durant laquelle les patientes bénéficient d’une visite médicale quotidienne avec une inspection des plaies avant la sortie.
Plus de 10 000 fistules, vésicovaginales et rectovaginales, ont ainsi été opérées au CCBRT.
En conclusion
Les problèmes périnéaux rencontrés en Tanzanie sont différents de ceux de nos pratiques européennes. Les traumatismes obstétricaux représentent la majorité des lésions. Une formation de qualité afin de prévenir la survenue de telles lésions, mais aussi d’améliorer leur diagnostic précoce et leur prise en charge fait l’objet d’une volonté gouvernementale et d’un programme dédié depuis de nombreuses années.