Diplôme inter-universitaire – Proctologie médicochirurgicale – Fiche numéro 4
Par Dr Anne Laurain et Prof. Laurent Abramowitz
Objectifs pédagogiques
Connaître les principes du traitement chirurgical classique des fistules anales, la justification des voies de drainage, la justification du spectre de la segmentation des temps opératoires. Connaître les principaux risques liés à cette prise en charge et les principales modalités de gestion des soins post-opératoires.
Dans ce cours nous traiterons des traitements conventionnels des fistules anales c’est-à-dire principalement la fistulotomie en un ou plusieurs temps.
Concept de la fistulotomie en un ou plusieurs temps
La fistulotomie est une technique chirurgicale qui consiste à couper la fistule anale. Si la fistule est basse cette technique se réalise en un temps opératoire, en revanche si la fistule est complexe ou haute on sectionnera la fistule en plusieurs temps opératoire afin de limiter les risques sur la continence.
Efficacité de la fistulotomie en un ou plusieurs temps et facteurs de risque de récidive
La littérature concernant l’efficacité de la fistulotomie est assez hétérogène avec un taux de récidive après fistulotomie d’environ 10 % 1–5. L’étude française multicentrique prospective du GREP 5 en centre expert sur 1 an avait étudié 195 patients ayant eu une fistulotomie en 1 ou plusieurs temps. Dans cette étude seul 3 patients soit 1,5% avaient dû être réopéré pour récidive.
Un des facteurs de récidive identifié dans la littérature est le type de chirurgien 6. Les chirurgiens experts ont moins de récidive que les chirurgiens généraux (9,7% vs 30%) et par ailleurs ils pratiquent plus de temps de fistulotomie, d’où l’importance de la formation dans la prise en charge des fistules. Les autres facteurs identifiés de récurrence sont le fait que la fistule soit complexe, notamment en fer à cheval, et l’impossibilité de trouver l’orifice interne.
En comparaison avec les techniques d’épargne qui échouent dans environ 50 % des cas, la fistulotomie est la technique la plus efficace avec un taux de succès dans environ 90% des cas.
Risque d’incontinence anale et fistulotomie
La fistulotomie en un ou plusieurs temps consiste à couper la fistule et donc le sphincter anal. C’est donc une technique efficace mais avec un risque sur la continence anale. La littérature est également très hétérogène sur le sujet et difficile à analyser car les outils utilisés pour mesurer l’incontinence sont très variables d’une étude à l’autre. L’incidence de l’incontinence est évaluée dans la littérature de 2 à 82% 1–5,7. Dans l’étude française prospective multicentrique du GREP 5 il a été montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre les scores de Wexner pré op et post op dans le cas des fistules basse. Cependant pour les fistulotomie en deux temps pour les fistules hautes et/ou complexes, il y avait une différence significative avec 7 % des patients qui augmentaient leur score de Wexner de plus de 5 points. Les résultats de cette étude nous ont amené dans la pratique clinique à augmenter le nombre de temps de fistulotomie dans le cas des fistules hautes.
Les facteurs de risque identifiés d’incontinence post opératoire 7 sont l’existence d’une incontinence anale préexistante (d’où l’importance d’interroger les patients sur leur continence en pré-opératoire), la complexité de la fistule, l’existence d’une diarrhée et le genre féminin.
La fistulotomie en pratique au bloc opératoire
Trouver l’orifice interne et cathétériser le trajet
Au bloc opératoire, la première étape est de trouver l’orifice interne et de cathétériser le trajet fistuleux. L’orifice interne doit se chercher et se trouver au niveau de la ligne pectinée car la glandes d’Hermann et Desfosses, dont l’infection est à l’origine des fistules crypto glandulaire, s’abouchent au niveau de la ligne pectinée. Dans les lésions ano-périénale de Crohn ont retrouvent également les orifices internes au niveau de la ligne pectinée. L’exception sont les fistules sur fissure infectée dans ce cas on retrouve l’orifice interne dans le lit de la fissure, celui-ci sera donc le plus souvent sous pectinéal. Des techniques avec injection d’air ou de colorant par l’orifice externe ou la traction de l’orifice externe peuvent aider à identifier l’orifice interne.
Évaluer la hauteur du trajet et fistulotomie en un ou plusieurs temps
Une fois que l’on a cathétérisé le trajet à l’aide d’un stylet il faut évaluer la hauteur de sphincter pris dans la fistule et surtout ce qui reste au-dessus. En général, on parlera de fistule haute quand la hauteur de la fistule dépasse 30 à 50% de la hauteur du sphincter.
Si la fistule est basse, on peut réaliser une fistulotomie en un temps, c’est-à-dire qu’on sectionne le trajet. Il reste en fin d’intervention une plaie qui cicatrisera en 2 mois environ.
Si la fistule est haute, on ne pourra pas sectionner la fistule en une seule fois sinon il y aurait une rétraction des chefs sphinctériens qui entrainerait un défect sphinctérien sur plus de 90° avec un risque trop important d’incontinence. Pour limiter ce risque on va fractionner les temps opératoires. Lors du premier temps opératoire, on met une anse souple de drainage dans le trajet fistuleux puis on réalise ensuite un abaissement du trajet, c’est-à-dire qu’on sectionne une partie du sphincter externe uniquement, le sphincter interne restant intact. On laisse le séton en place et après 6 à 8 semaines de cicatrisation la fistule haute sera désormais une fistule basse.
Quelques mois après cette première chirurgie, on pourra réaliser un deuxième temps opératoire. Si la fistule est assez basse on réalisera une fistulotomie mais si on considère que la fistule n’est pas encore suffisamment abaissée, on peut réaliser un nouveau temps d’abaissement et cela autant que nécessaire.
Autres fistules
Selon les voies de diffusion des suppurations ont peut-être amené à prendre en charge des fistules complexe, à savoir des fistules avec des diverticules de la fosse ischio-anales, des diverticules intra muraux, des fistules en fer à cheval, en Y ou encore des doubles fistules.
Le serrage de séton
Le serrage de séton est une technique qui consiste à mettre lors de la chirurgie de drainage un séton en traction qui sera resserré en consultation tous les 8 à 10 jours. Le trajet sera alors sectionné progressivement au bout de 4 à 6 serrages.
La plupart des études s’intéressant à cette technique sont rétrospectives et sur de faibles effectifs. Le taux de récidive est faible de 0 à 10% et le taux d’incontinence anale rapportée varie de 0 à 67 % (8–12). Une méta-analyse 10 sur 1460 patients rapportait un taux moyen d’IA de 12 % mais avec une grande variabilité selon les études en fonction du type de fistule et du mode d’évaluation de l’incontinence anale. Une étude rétrospective 8 a comparé les résultats de 12 patients ayant un serrage de séton vs 47 patients ayant eu une fistulotomie en 2 temps. Il en résulte que les 2 techniques avaient des résultats similaires en termes d’efficacité et de continence.
Cette technique semble abandonnée dans de nombreux centres tertiaires de proctologie. Les recommandations américaines 13 recommandent de l’utiliser avec prudence dans les fistules complexes et les recommandations allemandes 14 indiquent qu’au vu d’un taux d’incontinence jugé inacceptable, la technique du serrage de séton ne doit plus être utilisée.
Indication et contre-indication à la fistulotomie
La fistulotomie en un ou plusieurs temps est la technique la plus efficace mais à risque d’incontinence anale. Aussi, il ne faut pas proposer cette technique chez les patients ayant des fistules anales dans un contexte de maladie de Crohn ou de façon exceptionnelle en cas de fistule très basse. En effet, ces patients sont à haut risque d’incontinence anale du fait de fistules souvent complexes, du risque de récidive élevée avec nécessité de chirurgies itératives et de l’existence d’une diarrhée chronique.
Il faudra également être prudent chez les autres patients à risque d’incontinence anale. Il est primordial de bien rechercher ses facteurs de risque avant d’envisager une fistulotomie.
Les données de la littérature 7 retrouvent comme facteur de risque d’incontinence post opératoire l’existence d’une incontinence anale pré existante, les patients ayant une diarrhée chronique, les antécédents de chirurgie anale, les fistules antérieures chez la femme et les antécédents d’accouchements traumatiques (forceps, périnée complet, incontinence anale transitoire du post partum).
En dehors de ces situations à risque d’incontinence anale, il reste primordial d’informé le patient pour qu’il puisse choisir entre une technique efficace mais avec un risque d’incontinence et les techniques d’épargne qui certes ne sectionnent pas le sphincter mais sont à haut risque de récidive et donc de multiplication des temps opératoires.
Suites post opératoire
Ordonnances post opératoire
Il n’y a actuellement pas de recommandation ni d’étude ayant comparé les types de soin post opératoire et celles-ci varient d’un proctologue à l’autre. L’idée est de réguler le transit par des laxatifs, donner des antalgiques de palier 2 si nécessaire et de ne pas prescrire d’AINS. S’il s’agit d’une fistule basse donc avec une plaie du canal anal on pourra utiliser des topiques locaux et s’il s’agit d’une fistule haute après le premier temps de drainage, on peut réaliser un méchage de la plaie, ce qui n’est pas réalisé par toutes les équipes. L’idée de ce méchage est de favoriser la cicatrisation de la cavité de la profondeur vers la surface.
Le patient sera revu en post opératoire toutes les 2 à 3 semaines jusqu’à cicatrisation complète.
Suites opératoires après fistulotomie
Le patient va avoir une plaie anale qui va cicatriser en moyenne en 2 mois. L’arrêt de travail est en général de 2 semaines du fait des douleurs post opératoires les 10 à 15 premiers jours notamment après les selles.
Suites opératoires après un premier temps de drainage avec mise en place d’un séton souple
Après la chirurgie le patient aura un séton souple qu’il devra garder jusqu’à la prochaine chirurgie et une plaie à côté de l’anus qui peut être assez importante le plus souvent dans la fosse ischio anale. Cette plaie cicatrisera en 1 à 2 mois environ. On donnera en moyenne 2-3 semaine d’arrêt de travail et éventuellement un méchage à faire tous les jours par une infirmière jusqu’à cicatrisation complète.
On pourra programmer le second temps opératoire quelques mois plus tard après cicatrisation complète.
Conclusion
La fistulotomie est une technique qui consiste à couper la fistule en 1 ou plusieurs temps. Les fistules hautes ou complexes doivent être opéré en plusieurs étapes afin d’éviter la rétraction des chefs sphinctérien. C’est la technique la plus efficace en termes de récidive. C’est en revanche une technique est qui est à risque d’incontinence anale notamment dans les fistules complexes ou hautes. Le choix de cette technique doit être discuté en amont avec le patient en fonction de son souhait et de ses facteurs de risques d’incontinence et doit être à tout prix évité chez les patients atteints d’une maladie de Crohn.
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