Fistule anastomotique : le microbiote intestinal comme nouveau coupable
La recherche fondamentale est la clef de voûte de l’avenir de notre discipline. Cette chronique Eurêka ! prend comme point de départ un article récent de science fondamentale, quelle qu’en soit la discipline, mais entrant en résonance avec la colo-proctologie afin d’en faire émerger l’originalité que ce soit par son caractère novateur, par sa perspective, par son caractère contre-intuitif ou encore par sa démarche scientifique surprenante.
Cet article est un deuxième opus d’Eurêka à la recherche du ou des coupables des fistules anastomotiques après résection colorectale. C’est dire à quel point ce sujet est préoccupant. Certes, la malfaçon technique est indubitablement une cause possible de ce type de fistule. Malgré une attention soigneuse portée par le chirurgien à la confection de l’anastomose et à son étanchéité testée en per-opératoire par un test à l’air, les séries multicentriques des centres colorectaux constatent encore et toujours 15 % de fistules après une anastomose colorectale. Un défaut de vascularisation est un coupable potentiel que l’on essaie maintenant de traquer par la réalisation d’un test au vert d’indocyanine au bloc opératoire avec une caméra infrarouge. Mais pourquoi une anastomose bien vascularisée, étanche et réalisée sans tension continue-t-elle de fuir chez près d’un patient sur six après une anastomose colorectale ? Dans un précédent numéro d’Eurêka, nous avions vu qu’une prédisposition génétique à la fistule anastomotique est observable dans le tissu colique de certains patients, par exemple chez ceux moins aptes à synthétiser du collagène de qualité ou à développer une néo-angiogenèse efficace. Un article récemment publié dans la revue Gut a identifié un nouveau suspect, dont la notoriété grandissante à ce jour auprès des scientifiques comme auprès du grand public lui confère les épaules du coupable parfait. (1) Voyons comment le microbiote intestinal pourrait par sa composition influencer la survenue d’une fistule anastomotique.
L’expérience initiale de cette étude pose les bases du problème : les auteurs montrent sur modèle murin que la stérilisation du microbiote colique réduit significativement la survenue d’une fistule d’anastomose colorectale. Ensuite, sur des souris déplétées de leur microbiote intestinal, un groupe reçoit la transplantation de microbiote intestinal provenant de patients ayant développé une fistule d’anastomose colorectale, tandis que le groupe contrôle reçoit la transplantation d’un microbiote intestinal prélevé chez des patients n’ayant pas développé de fistule. Le résultat de cette astucieuse expérience est au rendez-vous : la transplantation de microbiote chez des humains ayant eu une fistule favorise la survenue d’une fistule chez la souris en comparaison à la transplantation de microbiote provenant de patients n’ayant pas eu de complication anastomotique. L’élément essentiel ici est que le microbiote intestinal chez l’Homme a bien été prélevé avant la confection de l’anastomose et donc sa composition n’est pas la conséquence d’une fistule mais bien la cause d’une éventuelle fistule. Il n’y a donc plus de doute, le microbiote colorectal est bien en partie coupable de la survenue de certaines fistules anastomotiques. Par quel mécanisme des microbiotes intestinaux seraient pro-fistuleux ou anti-fistuleux ? Les chercheurs nous éclairent largement sur cette question dans leur publication.
En séquençant les microbiotes coliques humains transplantés ainsi que les microbiotes des souris transplantées avec ces microbiotes humains, la signature microbienne pro-et anti-fistuleuse a été identifiée. Deux bactéries ont retenu une attention toute particulière : d’un côté, Alistipes onderdonkii est plus présente lorsqu’une fistule survient, et de l’autre, Parabacteroides goldsteini est plus fréquente dans le microbiote lorsque la cicatrisation anastomotique se déroule sans fistule. Dans un nouveau groupe de souris déplétées de leur microbiote intestinal, la transplantation exclusive d’A. onderdonkii par gavage oral induit à une majoration du taux de fistules anastomotiques, alors que la transplantation exclusive de P. goldsteini conduit à l’observation opposée. Les auteurs nous montrent ainsi que toutes les bactéries du microbiote colorectal ne sont pas dangereuses pour la cicatrisation anastomotique et que certaines pourraient même avoir un effet favorable sur cette cicatrisation. Comment comprendre ce constat presque contre-intuitif ? Come souvent dans les articles de grande qualité, les auteurs ont devancé nos craintes. In vitro, lorsque P. goldsteini est mise en contact avec des monocytes et la bactérie E. Coli, P. goldsteini induit une réduction de la libération de cytokines pro-inflammatoires par les monocytes lors de la rencontre avec E. Coli. Par opposition, A. onderdonkii favorise dans les mêmes conditions expérimentales l’activation pro-inflammatoire des monocytes et donc la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires. Ce résultat in vitro a ensuite été validé in vivo : la transplantation intestinale de P. goldsteini abaisse le taux de cytokines pro-inflammatoires dans la muqueuse colique, tandis que la transplantation d’A. onderdonkii a l’effet inverse. D’ailleurs, l’injection d’un cocktail de cytokines pro-inflammatoires conduit à majorer le risque de fistule chez les souris. Enfin, les auteurs ont bloqué les voies de l’inflammation chez les souris par divers moyens, soit par double KO génétique pour le TNFα, soit par des anticorps anti-TNFα, soit en déplétant les cellules sécrétant les cytokines de l’inflammation (neutrophiles ou monocytes), ce qui conférait toujours une protection partielle comme la survenue d’une fistule anastomotique.
Le mécanisme découvert dans cet article est limpide et démontré avec une démarche scientifique menée dans les règles de l’art : une muqueuse colique avec un profil cytokinique pro-inflammatoire en pré-opératoire majorerait le risque de fistule anastomotique comparativement à une muqueuse colique moins inflammatoire. La sécrétion des cytokines de l’inflammation par les cellules de l’immunité innée serait orchestrée par le microbiote colique, avec certaines bactéries pro-inflammatoires et d’autres anti-inflammatoires. Un autre article récemment publié dans Journal of Crohn’s and Colitis fait écho à cette conclusion en montrant, sur un modèle murin de colite chronique, que l’administration à faible dose de corticoïdes en pré-opératoire réduirait le risque de fistule anastomotique en réduisant l’inflammation colique, tandis que de fortes doses augmenteraient le risque de fistule. (2) Évidemment, il ne faut pas retenir de ces deux publications que la corticothérapie est le traitement d’avenir de la prévention de la fistule colorectale, car ne l’oublions pas, chez l’Homme, ce traitement est identifié à ce jour comme un facteur de risque majeur de fistule. (3) En revanche, ces nouvelles données expérimentales nous montrent que le microbiote intestinal peut être tenu comme partiellement responsable de la survenue des fistules anastomotiques par son interaction avec l’immunité colique lorsqu’il stimule l’inflammation colique. De belles stratégies thérapeutiques en perspective à explorer.
Références
- R. Hajjar et al., Gut microbiota influence anastomotic healing in colorectal cancer surgery through modulation of mucosal proinflammatory cytokines. Gut 72, 1143-1154 (2023).
- M. C. Weber et al., Perioperative Low-Dose Prednisolone Treatment Has Beneficial Effects on Postoperative Recovery and Anastomotic Healing in a Murine Colitis Model. J Crohns Colitis 17, 950-959 (2023).
- F. Eriksen, C. B. Lassen, I. Gögenur, Treatment with corticosteroids and the risk of anastomotic leakage following lower gastrointestinal surgery: a literature survey. Colorectal Dis 16, O154-160 (2014).