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Faut-il mécher un abcès anal après drainage ?

Nous avons tous des phrases préconçues que nous répétons jour après jour aux patients, sans vraiment réfléchir au message véhiculé tellement il nous parait répondre à une logique imparable. Par exemple, aux patients qui attendent la mise à plat d’un abcès de la marge anal, nous expliquons inlassablement qu’« après avoir incisé l’abcès, nous allons insérer une mèche qui devra être changée régulièrement par une infirmière jusqu’à cicatrisation afin d’éviter la récidive précoce de l’abcès ». Il y a déjà une première erreur dans cette affirmation, pourquoi forcement une infirmière et pas un infirmier ? Une étude récemment publiée dans le British Journal of Surgery s’est chargée de nous trouver une seconde erreur dans cette phrase type qu’un grand nombre d’entre nous répétons en boucle. (1)

Dans cet essai contrôlé multicentrique britannique, les patients en post-opératoire de l’incision et du drainage d’un abcès de la marge anal ont été randomisés en deux groupes : soit pansement avec méchage de la cavité de l’abcès, soit pansement simple sans méchage associé. Les patients qui présentaient une fistule anale, une gangrène de Fournier ou un abcès en fer à cheval étaient exclus. De plus, tous les patients avaient un méchage de la cavité de l’abcès au bloc opératoire notamment pour l’hémostase locale. La durée et la fréquence des pansements étaient laissées à l’appréciation des infimier.e.s. Avec 213 patients randomisés dans le groupe méchage et 220 patients dans le groupe pansement simple, la puissance statistique qui faisait largement défaut sur les deux précédents travaux portant sur ce sujet (2, 3) était bien au rendez-vous pour ce nouveau travail. Le critère de jugement critère principal était la douleur durant les premiers 10 premiers jours post-opératoires. Résultat des courses, les patients traités sans méchages itératifs de la cavité de l’abcès ont rapporté significativement moins des douleurs que les patients du groupe traité par méchage avec une intensité de douleur diminuée en moyenne de 26 %. Cette diminution de la douleur était particulièrement marquée au moment du changement des pansements ainsi que juste après les changements. Les auteurs ont donc atteint leur objectif sur le critère de jugement principal. Mais puisse que nous mettons ces mèches principalement pour prévenir la récidive, ce résultat n’est évidemment pas suffisant pour nous convaincre. Pas de panique, c’est le critère de jugement secondaire de cet essai. Tous les patients étaient évalués à 4, 8 et 26 semaines par un chirurgien en aveugle du type de pansement réalisé. Ainsi, il n’a pas été constaté de différences sur le taux de récidive de l’abcès. La beauté de cet essai est la manière par laquelle il déconstruit un dogme plein de bon sens avec un protocole d’une simplicité déconcertante. Les autres critères secondaires analysés dans cette étude ne font que renforcer l’hypothèse testée : les patients traités sans mèche avaient un taux de cicatrisation complète de l’abcès à 28 semaines plus élevé ainsi qu’un meilleur degré de satisfaction quant à la qualité des soins reçus. De plus, 80 % des patients traités sans mèche avaient repris le travail à 21 jours du drainage de l’abcès contre 65 % des patients traités avec mèche.

À la lecture de cet article, on est presque jaloux de ne pas avoir eu l’idée plus tôt. Pas besoin d’être un pro de la génétique, un incollable du microbiote intestinal ou encore un immunologiste chevronné pour proposer un travail comme celui-là, il fallait juste être capable d’aller à l’encontre des convictions du  plus grand nombre. Bien entendu, cette étude comporte certaines limites, la principale étant le nombre important de données manquantes sur le suivi, bien que ces données manquantes soient équilibrées entre les deux groupes, cette limite doit être soulignée. Le second point est que les patients pour lesquels une fistule anale était diagnostiquée durant le drainage de l’abcès étaient exclus ce qui ne permet pas de connaitre les conséquences éventuelles de l’absence de méchage dans ce sous-groupe de patient sur le risque de récidive d’abcès. Malgré ces limites, cette étude montre avec un niveau de preuve élevé les bénéfices d’un pansement sans mèche après mise à plat d’un abcès de la marge anale en l’absence de fistule anale associée. Une belle proposition de changement des pratiques au service du patient !

Références

  1. K. Newton et al., Postoperative Packing of Perianal Abscess Cavities (PPAC2): randomized clinical trial. Br J Surg 109, 951-957 (2022).
  2. D. M. Tonkin et al., Perianal abscess: a pilot study comparing packing with nonpacking of the abscess cavity. Dis Colon Rectum 47, 1510-1514 (2004).
  3. A. P. Perera et al., A pilot randomised controlled trial evaluating postoperative packing of the perianal abscess. Langenbecks Arch Surg 400, 267-271 (2015).