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La fistule anastomotique, une complication génétiquement programmée ?

La recherche fondamentale est la clef de voûte de l’avenir de notre discipline. Cette chronique Eurêka ! prend comme point de départ un article récent de science fondamentale, quelle qu’en soit la discipline, mais entrant en résonance avec la colo-proctologie afin d’en faire émerger l’originalité que ce soit par son caractère novateur, par sa perspective, par son caractère contre-intuitif ou encore par sa démarche scientifique surprenante.

Dans la vie, quelle est votre bête noire ? Si cette question était posée aux chirurgiens colo-rectaux durant le congrès de la SNFCP en séance plénière par exemple, il y a fort à parier que l’assemblée rétorquerait à l’unisson « la fistule anastomotique ! ». Pourquoi cette complication est-elle autant terrifiante ? La fistule anastomotique est tout d’abord fréquente concernant environ 15% des patients après anastomose colorectale, elle est aussi grave, altérant le résultat fonctionnel, justifiant parfois la confection d’une stomie définitive, impactant négativement le pronostic oncologique et enfin pouvant conduire au décès. Malgré les progrès dans la compréhension des facteurs de risque et dans les techniques chirurgicales, la gravité de cette complication reste la même. Une étude sur cohorte nationale hollandaise publiée cette année a montré que la mortalité de cette complication n’a pas diminué depuis 2011.[1] Malgré la confection d’anastomoses étanches à en croire le test à l’air, correctement vascularisées à en croire le test au vert d’indocyanine, protégées par une iléostomie de dérivation avec un colon purgé de son contenu lorsque c’est nécessaire, tout ça chez des patients optimisés sur le plan immuno-nutritionnel, nous observons encore et toujours l’apparition de ces fistules anastomotiques. Pourquoi une belle anastomose n’est-elle pas suffisante pour prévenir le risque de fistule ? Van Praagh et ses collègues ont publié un travail fascinant à ce sujet nous éclairant sur ce fatalisme de la fistule anastomotique. [2]

Sur une cohorte de patients opérés d’une résection colorectale segmentaire avec confection d’une anastomose colo-rectale mécanique, ils ont récupéré la collerette colique obtenue durant l’agrafage circulaire anastomotique. Ce prélèvement colique représentatif du tissu colique pris dans l’anastomose a ensuite été passé au peigne fin ; l’ARN en a été extrait afin d’être entièrement séquencé. Le profil transcriptomique (c’est-à-dire de l’ARN transcrit) du tissu colique anastomosé a ainsi été obtenu pour l’ensemble des individus de la cohorte. Pour l’analyse comparative, les patients ayant développé une fistule anastomotique ont été appariés à ceux n’ayant pas développé de fistule sur les critères suivants : l’âge, le sexe, l’administration d’une chimiothérapie néoadjuvante et l’administration d’une radiothérapie néoadjuvante. Au final, 22 patients ayant développé une fistule anastomotique ont été comparés à 69 patients n’ayant pas développé de fistule. Ces deux groupes étaient superposables sur leurs caractéristiques initiales. Qu’en est-il du transcriptome de la collerette colique ? De manière tout à fait stupéfiante, les auteurs ont découvert l’existence d’un profil transcriptomique associé à la survenue d’une fistule anastomotique. Ce résultat est une grande première ! Chez les patients ayant développés une fistule, 44 transcrits d’ARNm étaient significativement sur-exprimés tandis 42 transcrits étaient significativement sous-exprimés comparativement aux patients n’ayant pas développé de fistule anastomotique. La génétique du colon anastomosé serait donc prédictive du risque de fistule…

Pour aller plus loin dans l’analyse, les auteurs ont ensuite étudié les fonctions de ces transcrits différemment exprimés entre les deux groupes. Parmi les 150 transcrits les plus sous-exprimés chez les patients ayant développés une fistule anastomotique, trois grandes thématiques fonctionnelles ont été identifiées : l’immunité, l’angiogenèse et la synthèse des protéines / réticulation du collagène. Alors que nous n’avons pas une connaissance précise de la physiopathologie de la fistule anastomotique, tout le monde conçoit qu’une bonne immunité, une bonne angiogenèse ainsi qu’un bon agencement du collagène puissent être des facteurs favorisant la bonne cicatrisation. Ce qui est stupéfiant, c’est que ces facteurs semblent déterminés par l’ARN messager du tissu colique anastomosé. Qu’en est-il de la fonctionnalité des transcrits sur-exprimés dans le groupe fistule anastomotique ? Une thématique fonctionnelle a pu être identifiée, celle des transcrits impliqués de la division cellulaire. Cette thématique fonctionnelle est moins évidente à interpréter que les autres, mais les auteurs suspectent que cette hyperactivation de la division cellulaire puisse être en cause dans l’altération de la qualité du collagène compatible avec un défaut de cicatrisation anastomotique.

Finalement, serions-nous génétiquement programmés à développer ou non une fistule anastomotique ? Pour répondre à cette question il est important de constater que les résultats de l’étude porte sur le transcriptome. Ce détail biologique est essentiel. Gardons en tête que du gène à la protéine fonctionnelle, il y a successivement quatre niveaux : l’ADN, l’ARN (transcription), la protéine immature (traduction) et la protéine fonctionnelle (maturation protéique). À chacun de ces niveaux correspond une analyse en -omique, qui sont successivement la génomique, la transcriptomique, la protéomique et la métabolomique. Ainsi, l’étude rapportée s’intéresse à la deuxième étape et non à la première, et donc l’environnement a déjà interféré au moment de la transcription du génome (on peut parler d’influence de l’épigénétique pour les plus biologistes d’entre nous). Ainsi, différents facteurs environnementaux, comme le microbiote ou la vascularisation colique, pour n’en citer que deux, ont pu modifier l’expression des gènes. Cette étude ne montre donc pas que le génome serait le seul coupable des fistules anastomotiques, mais plutôt qu’il occuperait une place dans la survenue de cette complication. Pas de pessimisme donc sur la fatalité du déterminisme génétique. Par contre, ce que démontre ce travail, c’est que le tissu colique porte la signature du risque de fistule anastomotique dans son ARN avant même la réalisation de l’anastomose.

En espérant que ce travail puisse être un remède au moins partiel au tourment du chirurgien constatant toujours perplexe la survenue d’une fistule sur une anastomose pourtant « belle » au moment de sa confection.

Références :

  1. Arron MNN, Greijdanus NG, Ten Broek RPG, Dekker JWT, van Workum F, van Goor H, et al. Trends in risk factors of anastomotic leakage after colorectal cancer surgery (2011-2019): A Dutch population-based study. Colorectal Dis 2021
  2. van Praagh JB, de Wit JG, Olinga P, de Haan JJ, Nagengast WB, Fehrmann RSN, et al. Colorectal anastomotic leak: transcriptomic profile analysis. Br J Surg 2021; 108: 326-33.