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Deux visions des recommandations européennes sur la maladie hémorroïdaire

European Society of ColoProctology: guideline for haemorrhoidal disease. Van Tol RR et al. Colorectal Disease 2020. doi:10.1111/codi.14975

Non (Nadia Fathallah) :

Ci-dessus l’algorithme décisionnel des guidelines européennes de la prise en charge de la maladie hémorroïdaire publiées en 2020. Elles ont l’intérêt d’être simples et claires. Toutefois, elles ont été bâties « comme toujours », seulement sur la fameuse classification de Goligher pour le prolapsus.

Qu’en est-il alors des saignements ? Certes, il peut s’agir de simples traces sur le papier mais aussi de saignements abondants nécessitant des transfusions [1].

Qu’en est-il de la maladie hémorroïdaire externe qui peut se manifester par des thromboses répétées ou par des marisques hypertrophiques gênantes sur le plan esthétique et hygiénique quel que soit le stade de la maladie hémorroïdaire interne [2, 3] ?

Qu’en est-il également de l’impact de l’âge de nos patients, de l’état de leur continence et de la présence de troubles de la statique rectale sur notre prise en charge décisionnelle [4] ?

Qu’en est-il également de la présence d’une sexualité anale ?

Qu’en est-il enfin de l’impact des symptômes hémorroïdaires sur la qualité de vie des patients ? Il s’agit pourtant d’une pathologie bénigne fonctionnelle et la décision thérapeutique doit en tout point impliquer le patient [5, 6]. Certes, la mention de « shared-decision making » apparaît subitement écrite en petit dans l’encadré au-dessous de l’algorithme. Il faut vraiment être perspicace pour ne pas la rater…

Du coup, cet algorithme paraît un peu « trop simpliste » et « un peu décevant » pour une utilisation en pratique quotidienne.

Ceci étant dit, il faut reconnaître que les auteurs ont par la suite aborder des situations spécifiques, certes pas les plus fréquentes, comme la présence d’un déficit immunitaire inné ou acquis, d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, d’un trouble de la coagulation et/ou de l’hémostase inné ou acquis. Rien de nouveau et une impression de déjà vu, ces chapitres ont été rédigées sur le même modèle et avec les mêmes conclusions de toutes les autres guidelines anciennes et récentes publiées [3, 7].

Ensuite, si on se focalise sur les détails de cet algorithme :

  • Concernant les hémorroïdes de grade I (c’est à dire en situation anatomique normale), la ligature élastique est proposée en premier choix après échec du traitement médical. Techniquement, cela n’est pas toujours aisé en l’absence de prolapsus et cela manquerait singulièrement de logique s’il s’agit d’hémorroïdes internes de grade I chez un patient se plaignant principalement de thromboses externes répétées… [8]. De plus, pourquoi proposer la ligature élastique, technique instrumentale considérée comme la plus morbide alors que la photocoagulation infrarouge ou la sclérothérapie pourraient suffire à faire cesser les saignements.
  • Ensuite concernant les grade III, le passage direct du traitement médical conservateur à l’hémorroïdectomie radicale (de même pour le grade II en échec des traitements instrumentaux) paraît surprenant. Les chirurgies mini-invasives et les ligatures élastiques ne sont proposées qu’en alternative possible alors qu’on pourrait imaginer qu’ils puissent au contraire occuper une place intermédiaire. Il est tout à fait étonnant que ces techniques mini-invasives, considérées comme une vraie révolution dans la prise en charge de la maladie hémorroïdaire et qui sont en développement exponentiel constant depuis une vingtaine d’années n’occupent pas davantage de place dans cet algorithme décisionnel. Ces techniques ont l’avantage de suites plus simples, moins douloureuses, sans impact sur la continence anale, sans risque de sténose et sans modification de la sensibilité ni de l’anatomie du canal anal. Ce sont des avantages majeurs pour les patients même si on considère que le risque d’échec ou de récidive est plus important que l’hémorroïdectomie [9, 10].

Il faut reconnaître que beaucoup de patients préfèrent les traitements les moins invasifs possibles permettant seulement une amélioration au prix de symptômes résiduels que d’avoir recours à une technique radicale et définitive mais contraignante et douloureuse [11, 12]

La prise en charge actuelle tend davantage à être à la carte en tenant compte des symptômes hémorroïdaires significatifs et des souhaits des patients.

Procédure Rafaelo® - F Care Systems

La littérature est abondante concernant l’anopexie de Longo [13] et les ligatures artérielles sous contrôle doppler avec mucopexie (DG-HAL) [14] qui ont clairement toutes les deux prouvé leur efficacité. Les résultats de ces deux techniques semblent similaires mais la deuxième a l’avantage de suites plus simples et de l’absence de complications préoccupantes que peut engendrer l’anopexie de Longo [15]. L’anopexie a été d’ailleurs délaissée au profit de la première si on se base sur des registres PMSI de quelques pays européens comme l’Italie, l’Angleterre et la France. Il est donc surprenant que ces guidelines ne se prononcent et laissent l’anopexie de Longo sur le même pied d’égalité que la DG-HAL [16]. A noter d’ailleurs que la DG-HAL est depuis peu remboursée par la sécurité sociale en France (Code CCAM EDSD011). Ceci permettra sûrement de diffuser davantage cette technique.

De manière décevante aussi, d’autres techniques mini-invasives n’ont pas été abordées dans ces guidelines comme la radiofréquence hémorroïdaire [17], l’hémorroïdoplastie laser [18, 19], la HeLP ou HeLPexx [20], l’embolisation hémorroïdaire [20], etc. Certes la littérature en est à ses débuts pour permettre d’en tirer des conclusions formelles mais c’est néanmoins le rôle d’une société savante d’élaborer au moins un avis d’experts concernant ces techniques qui aurait permis de cadrer leur utilisation et de guider les praticiens dans ce large panel thérapeutique grandissant à vue d’œil.

  • Concernant le grade IV, l’hémorroïdectomie a clairement sa place. Les techniques mini-invasives ou les ligatures élastiques peuvent être discutées en alternative en cas de contre-indication ou selon le choix du patient. Dans ce cas particulier, les auteurs auraient pu individualiser le prolapsus de grade IV d’un seul paquet. Cette situation est loin d’être rare et peut être gérée par l’exérèse du simple paquet en question (monohémorroïdectomie) atténuant nettement les douleurs postopératoires, diminuant le risque de sténose, et conservant au mieux l’anatomie et la sensibilité du canal anal [21].
  • Enfin, ces diverses techniques peuvent être associées entre elles et ça n’a été aucunement abordé dans cet algorithme.

En conclusion, ces guidelines abordent le traitement de la maladie hémorroïdaire de manière trop simpliste qui ne correspond pas à la réalité du terrain. Beaucoup d’éléments cliniques essentiels sont à prendre en considération avant de décider d’une prise en charge thérapeutique qui devient davantage à la carte et qui doit, de surcroît, garder le patient au centre de cette prise de décision [3].

Par ailleurs, toutes les nouvelles techniques mini-invasives hémorroïdaires largement pratiquées en routine en raison d’une demande grandissante de la part des patients redoutant les suites postopératoires de l’hémorroïdectomie n’ont pas été abordées. Ceci est regrettable car cela fait que ces guidelines sont déjà considérées comme « dépassées ». On est clairement à l’ère « du mini-invasif » et cette tendance est loin de s’essouffler. Du reste, le rythme effréné d’apparition des nouvelles techniques chirurgicales qui sont venues enrichir le panel thérapeutique durant ces deux dernières décennies est presque une incitation à ne pas faire de guidelines au risque sinon qu’elles ne soient caduques dans les mois qui suivent leur publication…

Oui (François Pigot) :

En effet, ces recommandations sont simples, elles énoncent des messages peu discutables et elles sont destinées à être comprises et appliquées par tous, y compris par les non-hyperspécialistes.

Ces recommandations ont la force d’être internationales et multiculturelles. Elles ont été élaborées sous l’égide de l’European Society of Colo-Proctology et sont le fruit d’un consensus regroupant neuf experts européens. La méthodologie de travail était rigoureuse (AGREE II), et notre représentant national, Thierry Higuero, a amené dans le groupe la vision d’un gastroentérologue. Ces recommandations ont été conçues pour être utilisées par tous les intervenants qui rencontrent ces malades, et être accessibles au grand public pour information.

Ce sont des recommandations simples et universelles. Elles rappellent les points importants et incontournables de la prise en charge, en évitant les phénomènes de modes. Elles ne s’égarent pas dans la myriade des nouveaux traitements qui sont inventés à un rythme élevé, reposant sur des appareils en général couteux et souvent promus par l’industrie.

Tout d’abord, le premier sujet abordé était l’évaluation diagnostique et des symptômes. Sont énoncées des recommandations claires, pratiques et importantes à rappeler aux intervenants les moins avertis. Bien que le diagnostic soit évoqué facilement, il faut toujours éliminer un cancer ou une maladie inflammatoire digestive. Un examen ano-rectal doit toujours être effectué, incluant au moins une anuscopie, en décubitus latéral gauche si possible. A l’issue de ce premier examen, un traitement de première ligne associant soins locaux, laxatifs, anesthésiques locaux, phlébotoniques et des conseils hygiéno-diététiques sera proposé. Les traitements ultérieurs n’étant proposés qu’en cas d’échec.

Le choix entre les différentes propositions thérapeutiques de seconde ligne est basé sur le degré du prolapsus des hémorroïdes internes. En effet, la littérature scientifique ne parle que de maladie hémorroïdaire interne, et sa gravité est basée sur le grade du prolapsus. L’efficacité des traitements mécaniques (instrumentaux ou chirurgicaux) a été évaluée à cette aune. Malheureusement, la gravité des symptômes, le handicap, voire les manifestations dues aux hémorroïdes externes n’ont pas été le sujet d’études thérapeutiques permettant de définir des propositions thérapeutiques ciblées.

J’ai retenu du volet interventionnel de ces recommandations, résumées dans un tableau très synthétique, trois points notables et originaux.

  • Premièrement, les traitements instrumentaux (outpatient treatments pour les anglosaxons) ne sont proposés que pour les prolapsus de grade I et II. En effet, les hémorroïdes de grade III en échec de traitement conservateurs sont directement orientées vers la chirurgie sans passer par la case traitement instrumental. Cela répond à la question : ligature(s) tous les 2 ans ou chirurgie radicale une fois ?
  • Ensuite, la ligature élastique est le premier choix, avant les injections sclérosantes et l’infra-rouge. Bien sûr ceci après discussion patient-médecin. Mais voilà qui simplifie l’équipement au cabinet du proctologue !
  • Pour finir, si chirurgie il y’a, l’hémorroïdectomie est le premier choix (toujours après discussion patient-médecin), que ce soit pour les grades II en échec de traitement instrumental, les grades III ou IV. Voilà qui simplifie la formation chirurgicale (et l’investissement en matériel…). Et ce n’est probablement pas une solution réductrice car l’hémorroïdectomie n’est pas toujours facile à bien effectuer, et elle reste l’intervention qui est la plus efficace sur le long terme, et celle qui peut la mieux être adaptée à l’anatomie du patient, ou au contexte fonctionnel ano-rectal.

Faisant suite au tableau récapitulatif, les cas particuliers sont égrenés de façon très classique, je n’y ai pas trouvé de message original. La maladie hémorroïdaire externe relève d’un traitement médical de la crise, puis après discussion d’une chirurgie d’exérèse ou d’une anopexie. Sont ensuite évoquées les classiques précautions à prendre en cas d’immunodépression, de grossesse, de maladie inflammatoire digestive. Il y est rappelé qu’en cas d’antécédent d’irradiation locale, ni les traitements instrumentaux, ni la chirurgie ne sont recommandés. En cas de risque hémorragique, les règles nationales sont à suivre (sic).

Bien sûr, la discussion qui fait suite à la présentation du tableau synthétique des recommandations modère les messages un par un, et toutes les sensibilités y trouvent leur compte.

Pour conclure, il faut reconnaitre que ces recommandations ont su résumer en quelques messages simples et clairs un sujet qui devient difficile à saisir si l’on veut prendre en compte toute la littérature qui traite sans haut niveau de preuve une foule de traitements novateurs. La recherche et l’innovation sont importantes à poursuivre, mais elles ne doivent être traduites en recommandations destinées à une large diffusion et aux non-hyperspécialistes qu’après l’épreuve de la science et du temps qui tempère les ardeurs des novateurs et de l’industrie.

Bibliographie :

  1. Fathallah N, Beaussier H, Chatellier G, et al. Proposal for a New Score: Hemorrhoidal Bleeding Score. Ann Coloproctol. 2021;37:311-7.
  2. Fathallah N, Pommaret E, Crochet E, et al. Les techniques mini-invasives en chirurgie hémorroïdaire : la fin du règne de l’hémorroïdectomie ? Hépato-Gastro & Oncologie Digestive 2017;24:1019-29.
  3. De Schepper H, Coremans G, Denis MA, et al. Belgian consensus guideline on the management of hemorrhoidal disease. Acta Gastroenterol Belg 2021;84:101-20.
  4. Kreisler E, Biondo S (2018) Selection of Patients to the Surgical Treatment of Hemorrhoids. In: Ratto C., Parello A., Litta F. (eds) Hemorrhoids. Coloproctology, vol 2. Springer, Cham.
  5. Lord AS, Philip AP (2018). Classification of Hemorrhoidal Disease and Impact on the Choice of Treatment. (eds) Hemorrhoids. Coloproctology, vol 2. Springer, Cham.
  6. Davis BR, Lee-Kong SA, Migaly J, et al. The American Society of Colon and Rectal Surgeons Clinical Practice Guidelines for the Management of Hemorrhoids. Dis Colon Rectum 2018;61:284-92.
  7. Salgueiro P, Caetano AC, Oliveira AM, et al. Portuguese Society of Gastroenterology Consensus on the Diagnosis and Management of Hemorrhoidal Disease. GE Port J Gastroenterol 2020;27:90-102.
  8. Chan KKW, Arthur JDR. External haemorrhoidal thrombosis: evidence for current management. Tech Coloproctol 2013;17:21–5.
  9. Lohsiriwat V. Treatment of hemorrhoids: A coloproctologist’s view. World J Gastroenterol 2015;21:9245-52.
  10. Sandler RS, Peery AF. Rethinking What We Know About Hemorrhoids. Clin Gastroenterol Hepatol 2019;17:8-15.
  11. Gerbershagen HJ, Aduckathil S, van Wijck AJ, et l. Pain intensity on the first day after surgery: a prospective cohort study comparing 179 surgical procedures. Anesthesiology 2013;118:934–44.
  12. Brusciano L, Esposito A, Docimo L (2018) Pros and Contras of Hemorrhoidectomy. In: Ratto C., Parello A., Litta F. (eds) Hemorrhoids. Coloproctology. Springer, Cham.
  13. Sturiale A, Fabiani B, Menconi C, et al. Long-term results after stapled hemorrhoidopexy: a survey study with mean follow-up of 12 years. Tech Coloproctol 2018;22:689-96.
  14. Ratto C, Campennì P, Papeo F, et al. Transanal hemorrhoidal dearterialization (THD) for hemorrhoidal disease: a single-center study on 1000 consecutive cases and a review of the literature. Tech Coloproctol 2017;21:953-62.
  15. Giordano P, Nastro P, Davies A, et al. Prospective evaluation of stapled haemorrhoidopexy versus transanal haemorrhoidal dearterialisation for stage II and III haemorrhoids: three-year outcomes. Tech Coloproctol 2011;15:67-73.
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  17. Didelot JM, Didelot R. Radiofrequency thermocoagulation of haemorrhoidal bundles, an alternative technique for the management of internal haemorrhoids. Int J Colorectal Dis 2021;36:601-604.
  18. Faes S, Pratsinis M, Hasler-Gehrer S, et al. Short- and long-term outcomes of laser haemorrhoidoplasty for grade II-III haemorrhoidal disease. Colorectal Dis 2019;21:689-96.
  19. Thierry ML, Portal A, Fathallah N, Aubert M, Lemarchand N, de Parades V. Laser haemorrhoidoplasty: is it time to rethink the procedure? Tech Coloproctol 2020;24:779-80. 
  20. De Nardi P, Maggi G. Embolization of the superior rectal artery: another management option for hemorrhoids. Tech Coloproctol. 2021;25:1-2. 
  21. Giamundo P. Hemorrhoidal Laser Procedure (HeLP) and Hemorrhoidal Laser Procedure + Mucopexy (HeLPexx) and Other Emerging Technologies. Rev Recent Clin Trials 2021;16:17-21.
  22. Garg P. Why Should a Good Proportion of Hemorrhoids Not Be Operated On? – Let’s TONE Up. Dis Colon Rectum 2016 59:583-5.