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Chirurgie proctologique chez le sujet âgé – 2/2

Dr Najima Bouta, gastro-entérologue-proctologue, Polyclinique Montréal, Carcassonne
Dr Chokri Boubakri, interniste-gériatre, Clinique Le Melezet, Montpellier

Prévention de l’iatrogénie : Antalgie post-opératoire et complications

Les douleurs postopératoires doivent être clairement expliquées au patient au moment de la chirurgie. Le recours au paracétamol est très fréquent, en dehors de rares contre-indications ; il doit être mis en place à la bonne posologie (max 3 g/jour chez les ≥ 65 ans, en 3 ou 4 prises), de façon systématique, en privilégiant la voie orale dès que possible. Le traitement doit être individualisé pour chaque patient, et il faut éviter les ordonnances types qui ne prennent pas en compte les comorbidités ni les syndromes gériatriques associés.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont en général à éviter chez la personne âgée à cause de leur mauvais profil de tolérance (majoration de la néphro- et gastro-toxicité en lien avec les modifications physiologiques et la polymédication, aggravation d’une hypertension artérielle…). Une couverture par IPP est à prévoir dans les rares cas où le traitement peut être utilisé (patients robustes, sans comorbidités cardiovasculaires, et avec une fonction rénale normale).

L’association anticoagulant et AINS est une contre-indication relative, à proscrire chez les personnes âgées.

Le Néfopam est déconseillé chez l’homme âgé à cause de son effet anticholinergique, avec risque majeur de rétention d’urines, notamment en cas de pathologie prostatique sous-jacente.

Le recours au palier 2 est également à discuter au cas par cas. Chez les patients ayant des troubles neurocognitifs, tous les traitements de palier 2 peuvent être responsables de l’apparition d’une confusion mentale ; ils sont donc en général déconseillés en gériatrie, et on privilégiera les traitements morphiniques, en débutant toujours par de faibles doses et en augmentant progressivement.

Complications postopératoires en population gériatrique

Complications spécifiques à la chirurgie proctologique

L’âge est souvent perçu, à tort, comme un frein à certaines interventions considérées comme invasives, en raison du risque supposé élevé de complications postopératoires. Qu’en est-il réellement en chirurgie proctologique chez les patients âgés ?

Une étude rétrospective (9) menée chez 57 patients de plus de 75 ans a montré qu’en l’absence de comorbidités sévères, la chirurgie proctologique peut être réalisée avec un taux de complications précoces modéré (17,5 % : confusion, rétention urinaire, infections urinaires) et une satisfaction élevée (97 %), suggérant que des interventions comme l’hémorroïdectomie peuvent être envisagées chez des sujets âgés soigneusement sélectionnés.

Une étude rétrospective (10) comparant les complications postopératoires après hémorroïdectomie (stades III-IV) chez les patients de plus ou moins 75 ans a montré que l’âge avancé n’était pas en soi un facteur de risque. Cependant, une fréquence plus élevée de dysfonctionnements hépatique et rénal a été observée chez les patients âgés ce qui doit conduire à adapter l’antalgie postopératoire.

L’âge constitue un facteur de risque reconnu d’incontinence anale. Avant toute intervention de chirurgie proctologique susceptible d’altérer la continence, une évaluation préalable est nécessaire. Celle-ci repose d’une part sur l’interrogatoire à l’aide du score de Jorge et Wexner, permettant de quantifier l’intensité des troubles, et d’autre part sur l’examen clinique, incluant l’évaluation du tonus anal au repos et de la contraction volontaire. Ces éléments doivent être consignés dans le dossier médical du patient.

Concernant la cicatrisation en chirurgie proctologique, les données disponibles n’indiquent pas que l’âge, en lui-même, soit un facteur limitant. Les complications postopératoires sont davantage liées aux comorbidités telles que le diabète, la dénutrition ou la polymédication, notamment la corticothérapie. Ainsi, avec une sélection des patients et une prise en charge adaptée, la cicatrisation chez les sujets âgés est comparable à celle des patients plus jeunes.

Complications générales en population gériatrique 

La majorité des interventions étant réalisées en ambulatoire, il n’y a pas lieu de redouter un risque de dépendance iatrogène telle que décrite par l’HAS en 2017 (11) en dehors d’une éventuelle prescription des médicaments confusiogène (syndrome d’immobilisation, chute, dénutrition, incontinence urinaire, confusion), à condition de respecter les précautions de prescription des antalgiques. Une attention particulière doit toutefois être portée à la prévention de la constipation, à initier dès la période préopératoire, cette population y étant particulièrement exposée.

Quelle chirurgie pour quel patient ?

Chirurgie ambulatoire et grand âge (recommandations SNFCP, mars 2015)

Le grand âge n’est pas une contre-indication à la chirurgie ambulatoire si les critères d’éligibilité sont respectés. Une coordination avec le médecin traitant est essentielle.

L’hospitalisation en ambulatoire diminuerait le risque confusionnel (12). La surveillance et la prise en charge postopératoire d’un globe vésical et de la douleur sont deux éléments majeurs dans la prise en charge ambulatoire d’un patient âgé (13).

En raison du risque élevé de rétention aiguë d’urines après une chirurgie hémorroïdaire, notamment chez les patients âgés, et de la possibilité de tableaux cliniques atypiques (tels qu’un syndrome confusionnel), nous jugeons pertinent de proposer systématiquement la réalisation d’un bladder scan à la sortie du service d’ambulatoire.

En cas de traitement anticoagulant ou antiagrégant, la décision d’ambulatoire et la gestion des traitements doivent être partagées entre le chirurgien, le médecin traitant et le cardiologue.

Approche individualisée en chirurgie proctologique

Focus sur la chirurgie hémorroïdaire

Une chirurgie fonctionnelle avant tout. L’objectif principal de la chirurgie hémorroïdaire est d’améliorer la qualité de vie du patient. Grâce au développement de techniques mini-invasives (ligatures doppler, radiofréquence, laser…), l’approche thérapeutique s’est modernisée et centrée sur le patient.

La technique de référence. L’hémorroïdectomie pédiculaire reste la technique de référence, notamment dans les stades avancés (III-IV). Mais elle est connue pour ses suites douloureuses et ses complications potentiels : sténose anale, troubles de la continence…

Vers un traitement individualisé. La tendance actuelle est à une approche personnalisée, modulée dans le temps, en combinant techniques de résection (hémorroïdectomie) et de réparation (techniques mini-invasives). Cette stratégie permet d’adapter le traitement au profil du patient et à l’évolution de la maladie.

Et chez le patient âgé ? Chez le sujet âgé, les techniques mini-invasives sont souvent privilégiées, en raison de leur meilleure tolérance : moins de douleur post-opératoire, récupération plus rapide, et complications moindres. Même si moins efficaces sur le long terme, elles répondent bien à l’objectif principal : améliorer le confort et la qualité de vie.

Mais l’âge, à lui seul, ne doit pas dicter la stratégie opératoire. Ce qui prime, c’est le profil du patient : son état physiologique, ses comorbidités, sa continence, ses possibles syndromes gériatriques et ses attentes. Ainsi, l’hémorroïdectomie, technique de référence dans les stades avancés, reste tout à fait envisageable chez un patient âgé en bon état général (10).

Un des grands intérêts actuels est la possibilité de combiner les techniques, notamment dans les formes évoluées : par exemple, une hémorroïdectomie ciblée sur le paquet le plus procident symptomatique, associée à des gestes mini-invasifs sur les autres. Cela permet de limiter les plaies canalaires, de faciliter les suites opératoires, tout en évitant d’avoir à retirer l’ensemble des hémorroïdes.

En résumé, il ne s’agit pas d’opposer mini-invasif et chirurgie classique, mais de proposer la bonne stratégie, au bon moment, pour le bon patient.

Attention aux patients sous anticoagulants. Chez les patients sous anticoagulants, les techniques mini-invasives sont généralement contre-indiquées. Dans ces cas, l’hémorroïdectomie peut être la seule option, avec un risque de saignement majoré (jusqu’à 30 %). Une alternative peut être proposée par la radiologie interventionnelle (2) : l’embolisation des artères hémorroïdaires, réalisée sous anesthésie locale et compatible avec les anticoagulants.

Cas particulier de la thrombose hémorroïdaire externe

Aujourd’hui, l’incision ou l’excision en cas de thrombose n’est pas systématique, le traitement médical, notamment par AINS, étant privilégié pour la gestion de la douleur. Cependant, chez le sujet âgé, où l’on cherche à limiter la prescription d’AINS, ce geste peut encore trouver une place (14).

Autres interventions proctologiques en gériatrie

Fissure anale

La prise en charge reste essentiellement médicale (régulation du transit) dans 90 % des cas.

Les AINS sont à éviter, en raison du risque digestif et rénal.

La niféxineÒ (association lidocaïne + nifédipine) peut être utilisée chez les patients âgés, sous réserve d’une surveillance de la pression artérielle en raison du risque d’hypotension, notamment orthostatique.

La sphinctérotomie latérale interne est désormais largement abandonnée, notamment en raison des risques de troubles de la continence anale, et elle est à proscrire chez le sujet âgé.

La chirurgie (fissurectomie) n’est envisagée que pour les fissures hyperalgiques ou surinfectées, avec dans ce dernier cas le recours à une mise à plat intersphinctérienne.

Suppurations ano-périnéales

Le drainage d’un abcès anal est une urgence chirurgicale, et l’âge ne doit en aucun cas retarder l’intervention.

En post-drainage, chez le sujet âgé, les techniques d’obturation sont à privilégier à la mise à plat, notamment avec la possibilité de laisser en place un séton élastique dans les formes complexes. La fistulotomie reste réservée aux patients ayant une continence préservée, après une évaluation soigneuse.

Prolapsus rectal

Chez les patients fragiles ou très comorbides, la voie basse est indiquée en alternative à la promontofixation. Un suivi proctologique étroit est indispensable.

Points forts

  • Le grand âge n’est pas une contre-indication à la chirurgie proctologique, y compris en ambulatoire, sous réserve d’une évaluation gériatrique préalable rigoureuse.
  • L’enjeu ne réside pas dans la technique mais dans le choix du bon geste, au bon moment, pour le bon patient.
  • Technique de référence dans les stades avancés, l’hémorroïdectomie reste envisageable chez les patients âgés robustes.
  • La gestion périopératoire des anticoagulants et antiagrégants est au cœur des complications. Elle exige une coordination étroite entre chirurgien, anesthésiste, gériatre et cardiologue.
  • L’hémorragie secondaire reste la complication la plus redoutée après chirurgie hémorroïdaire, surtout en contexte d’anticoagulation.
  • L’embolisation artérielle hémorroïdaire, sous anesthésie locale, est une alternative à connaître chez les patients inopérables ou à très haut risque de complication.
  • La douleur chez le sujet âgé nécessite une stratégie personnalisée, en évitant les ordonnances « prêtes à l’emploi » et les traitements délétères (AINS, néfopam, palier 2 chez les cognitivement fragiles).

Conclusion

Ce n’est pas l’âge qui doit guider la décision, mais le profil du patient. Continence, comorbidités, syndromes gériatriques : autant de paramètres à intégrer pour choisir la bonne stratégie.

La chirurgie ambulatoire, loin d’être contre-indiquée, peut même prévenir certaines complications de dépendance iatrogène. Encore faut-il respecter les critères d’éligibilité et anticiper les soins post-opératoires.

Chez les patients sous AOD, la prudence impose un avis cardiologique : pour rediscuter l’indication, évaluer la possibilité d’une suspension, ou envisager un relais préventif par HBPM durant la période à risque.

La proctologie gériatrique est une affaire de bon sens éclairé, où chaque patient mérite une solution sur mesure. Chirurgie classique ou alternative, mini-invasive ou combinée : il ne s’agit plus d’opposer, mais d’adapter.

Bibliographie

1.         Pigot F, Juguet F, Bouchard D, Castinel A, Vove JP. Prospective survey of secondary bleeding following anorectal surgery in a consecutive series of 1,269 patients. Clinics and Research in Hepatology and Gastroenterology. janv 2011;35(1):41‑7.

2.         Tradi F, Mege D, Louis G, Bartoli JM, Sielezneff I, Vidal V. Emborrhoïd : traitement des hémorroïdes par embolisation des artères rectales. La Presse Médicale. avr 2019;48(4):454‑9.

3.         Godier A, Lasne D, Pernod G, Blais N, Bonhomme F, Bounes F, et al. Prevention of perioperative venous thromboembolism: 2024 guidelines from the French Working Group on Perioperative Haemostasis (GIHP) developed in collaboration with the French Society of Anaesthesia and Intensive Care Medicine (SFAR), the French Society of Thrombosis and Haemostasis (SFTH) and the French Society of Vascular Medicine (SFMV) and endorsed by the French Society of Digestive Surgery (SFCD), the French Society of Pharmacology and Therapeutics (SFPT) and INNOVTE (Investigation Network On Venous ThromboEmbolism) network. Anaesth Crit Care Pain Med. 22 oct 2024;101446.

4.         Martin G, Chatellier G, Beaussier H, De Parades V. Hémorragies postopératoires en chirurgie proctologique : rares mais potentiellement sévères. Journal de Chirurgie Viscérale. déc 2021;158(6):506‑12.

5.         Pigot F, Juguet F, Bouchard D, Castinel A. Do we have to stop anticoagulant and platelet‐inhibitor treatments during proctological surgery? Colorectal Disease. déc 2012;14(12):1516‑20.

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8.         Clark NP, Douketis JD, Hasselblad V, Schulman S, Kindzelski AL, Ortel TL. Predictors of perioperative major bleeding in patients who interrupt warfarin for an elective surgery or procedure: Analysis of the BRIDGE trial. American Heart Journal. janv 2018;195:108‑14.

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11.       prevenir_la_dependance_iatrogene_liee_a_lhospitalisation_chez_les_personnes_agees_-_fiche_points_cles-2.pdf.

12.       Canet J, Raeder J, Rasmussen LS, Enlund M, Kuipers HM, Hanning CD, et al. Cognitive dysfunction after minor surgery in the elderly. Acta Anaesthesiol Scand. nov 2003;47(10):1204‑10.

13.       Grifasi C, Calogero A, Esposito A, Dodaro C. Perioperative care of elderly outpatients. A review. Ann Ital Chir. 2015;86(2):100‑5.

14.       Eberspacher C, Mascagni D, Antypas P, Grimaldi G, Fralleone L, Pontone S, et al. External hemorrhoidal thrombosis in the elderly patients: conservative and surgical management. Minerva Chir [Internet]. avr 2020 [cité 17 mai 2025];75(2). Disponible sur: https://www.minervamedica.it/index2.php?show=R06Y2020N02A0117