La névralgie pudendale par syndrome canalaire est évoquée lors d’algies périnéales. Le diagnostic de cette affection répond à des critères bien établis. Quatre d’entre eux sont cliniques, le dernier est un bloc diagnostic. Malheureusement, son existence même et les critères diagnostiques sont encore assez peu connus des professionnels de santé et les patients demeurent en errance diagnostique souvent pendant plusieurs années avant que le diagnostic soit évoqué (1). Elle peut donner lieu à un nombre important de consultations variées : algologie, gynécologie, colo-proctologie, urologie. Sa prévalence n’est pas connue (la répartition en plusieurs spécialités l’explique) mais la prédominance féminine est reconnue. La névralgie clunéale inférieure, plus méconnue car plus récemment décrite, s’en rapproche d’un point de vue mécanistique. Alors que le territoire du nerf pudendal s’étend du clitoris ou du gland à l’anus, celui du nerf clunéal inférieure (branche du nerf cutané postérieur de la cuisse) concerne une région plus postérieure et latérale incluant l’ischion, le pli sous-fessier, la face latérale de la grande lèvre ou du scrotum, la région para-anale et parfois la face dorsale de la cuisse (2).
Le diagnostic de ces deux affections est codifié et repose sur des critères cliniques que sont :
- Le territoire nerveux connu des deux nerfs
- Le caractère positionnel de la douleur accentuée par la position assise
- L’absence de réveil nocturne par la douleur
- L’absence d’hypo-esthésie périnéale
Ces quatre critères sont complétés par un bloc diagnostique (avec une solution anesthésique seule) qui doit être réalisé à l’épine ischiatique (3).
L’ensemble de ces critères reconnus par la communauté scientifique mondiale constitue les « critères de Nantes » (4). Ils sont repérables au sein de tableaux cliniques souvent plus complexes nécessitant une approche pluridisciplinaire et des approches thérapeutiques complexes et multimodales.
Les douleurs pudendales sont médianes, et peuvent siéger partiellement ou totalement, de façon uni ou bilatérale dans le clitoris ou le gland, les grandes lèvres ou le scrotum, la région du corps périnéal et l’anus lui-même. Le patient supporte souvent un peu mieux les sièges durs. Ce nerf est par ailleurs riche en fibres végétatives, assurant la trophicité de toute cette zone dans des espaces cutanéo-muqueux. Aussi est-il fréquent de retrouver des éléments cliniques témoignant de désordres neurovégétatifs dans la présentation clinique : impression de corps étranger intra-orificiel, sensation de bourse brulante ou de fesse froide, hypersudation parfois, pollakiurie que rien d’autre n’explique, douleurs post défécatoires ou coïtales. Il a aussi un territoire moteur étendu aux muscles ischio-caverneux et bulbo-spongieux ainsi qu’aux deux sphincters striés. Les déficits moteurs ne sont en règle pas présents.
Les douleurs clunéales inférieures (branche du nerf cutané postérieur de la cuisse) sont globalement plus latérales et sont des algies fessières basse, touchant la région ischiatique, le pli sous fessier et la région latéro-anale sans atteindre l’anus lui-même. Une douleur scrotale ou labiale latérale peut aussi être retrouvée. En cas de compression du tronc porteur, une irradiation à la face postérieure de la cuisse accompagne la symptomatologie. Il n’existe pas de connotation végétative contrairement aux pudendalgies. Le patient préfère les sièges mous, les durs mettant d’emblée sévèrement en conflit le tronc nerveux et ses branches qui entourent la tubérosité ischiatique.
Quand le diagnostic est retenu de souffrance d’un tronc nerveux de nature mécanique, la chirurgie est le seul traitement validé. Il convient donc de reconnaitre précocement, au sein d’autres syndromes douloureux, une population qui, faute de diagnostic reste trop souvent en errance thérapeutique.
Données physiopathologiques et applications
- Douleurs par syndrome canalaire :
- Névralgie pudendale : Le trajet du nerf pudendal est semé d’embuches. Il naît des racines sacrés (surtout S3) en avant de la concavité sacrée, il quitte cette région par la canal in fra-piriforme et se place alors latéralement sous ce muscle, gagnant ainsi la région glutéale. C’est là qu’il emprunte la pince ligamentaire formée du ligament sacro-épineux ventralement et du ligament sacro-tubéral dorsalement. A ce niveau le nerf s’enroule autour du ligament sacro-épineux ou de l’épine sciatique avant de plonger dans le périnée par le canal pudendal d’Alcock, dédoublement du fascia du muscle obturateur interne. La pince ligamentaire peut être serrée de façon constitutionnelle et le tronc nerveux s’y trouve alors à l’étroit. De la même façon les deux feuillets formant le canal pudendal peuvent être épaissis, réduisant encore l’espace de glissement. D’autres variations anatomiques ont aussi été décrites et peuvent parfois s’associer (trajet transligamentaire du tronc nerveux ou d’une de ses branches, ossification des ligaments, hypertrophie d’un processus falciforme devenant menaçant pour le nerf…) (5). La pince ligamentaire est la zone de conflit la plus fréquente. Ce fait explique l’intérêt majeur, d’un bloc diagnostic fait à ce niveau. La pression infligée sur le nerf lors de la position assise engendre la douleur sur un tronc nerveux hypomobile ou/ et déjà comprimé.
- Névralgie clunéale inférieure : Sa mise en évidence est née de la constatation de douleurs persistantes après chirurgie du nerf pudendal, douleurs empêchant le patient de s’asseoir faisant considérer à tort comme négatif le résultat de la chirurgie. Or l’anamnèse précise en fait que les douleurs ne siègent plus dans le territoire pudendal mais plus latéralement, dans la région de l’ischion, du pli sous fessier mais aussi de la partie latérale du scrotum ou de la grande lèvre. La souffrance de ces rameaux clunéaux inférieur tient à l’adhérence de leur tronc porteur (nerf cutané postérieur de la cuisse) au bord latéral de la tubérosité ischiatique, et /ou à une sténose provoquée par un fascia unissant le bord latéral de l’ischion à la face ventrale du fascia du gluteus maximus et pouvant comprimer en position assise le tronc nerveux principal et ses branches (6).
- Le principe du bloc anesthésique : il repose sur les données anatomiques et physiopathologiques que nous venons d’exposer : Ce bloc est diagnostique et non thérapeutique et doit être réalisé avec une solution anesthésique seule (7). Il doit être réalisé de façon proximale de façon à intéresser la globalité des branches situées au sein du tronc nerveux non encore divisé, et la finalité en est de savoir si l’injection péritronculaire d’anesthésiques locaux entraine, le temps de l’effet de l’anesthésiant injecté, une sédation des douleurs dans la position algogène. Il est donc nécessaire que ce geste soit réalisé alors que le patient est en période douloureuse de façon à savoir si le bloc entraine une diminution d’au moins 50% de l’intensité douloureuse selon nos critères. En ce qui concerne le nerf pudendal, la zone de conflit le plus souvent constatée en per-opératoire se trouve au niveau de la pince ligamentaire, entre le sacro-épineux et le sacro-tubéral. Le repère anatomique est radiologiquement identifiable : insertion du ligament sacro-épineux sur l’épine ischiatique. Une injection dans le canal pudendal d’Alckok ne permettrait pas de dépister une souffrance plus haut située au niveau de la pince ligamentaire. Pour le nerf clunéal inférieur, le geste se fait à hauteur de son tronc nerveux porteur, le nerf cutané postérieur de la cuisse au bord latéral de la tubérosité ischiatique de façon à intéresser le ou les rameaux périnéaux mais aussi les rameaux ischiatiques et ceux émanant du sillon sous fessier. L’infiltration diagnostique se fait le plus souvent à l’aide d’un scanner ou d’une échographie. Le scanner a l’avantage de permettre de s’assurer de la qualité du geste par visualisation du produit de contraste au niveau de la zone d’intérêt, le ligament sacro-épineux pour les pudendalgies, la région latéro-ischiatique pour les clunéalgies. En effet, le résultat va avoir d’importantes conséquences thérapeutiques ; Il convient donc avant d’en annoncer la négativité, par exemple, de vérifier la qualité technique du geste. Le but recherché est bien d’apporter une anesthésie tronculaire au décours immédiat du geste et d’étudier les conséquences sur la douleur. On demande ensuite d’analyser les résultats pendant trois semaines ; une amélioration significative dans la durée incite alors à renouveler le geste, laissant au patient une « chance » médicale, circonstance malgré tout peu fréquente dans notre expérience et explicable par un effet « dissection like » de l’infiltration péri-tronculaire. La positivité du bloc test anesthésique est le cinquième critère diagnostic. Si les 5 critères sont présents, et seulement si, le patient est orienté vers une prise en charge chirurgicale de son syndrome canalaire.
Traitement chirurgical
Les douleurs pudendales et/ou clunéales (les deux peuvent être associées dans 20% des cas) d’origine canalaire sont aisées à diagnostiquer cliniquement. La confirmation par une infiltration diagnostique réalisée dans des conditions bien définies conduit à une prise en charge logique de tout syndrome canalaire : la décompression chirurgicale. La chirurgie qui doit explorer l’ensemble du tronc incriminé permettra d’évaluer les sites potentiels de conflit et de les traiter par une libération large et systématique. La chirurgie de décompression par voie transglutéale est le seul traitement validé (8). Elle permet de libérer les troncs nerveux sous contrôle visuel permanent du canal infra-piriforme au canal d’Alckok, d’anticiper les variations anatomiques de trajet du nerf pudendal ou de ses branches (passage trans-ligamentaire…) et ainsi de redonner sa mobilité au tronc nerveux. La chirurgie est non seulement une étape diagnostique mais également une étape pronostique, l’aspect macroscopique du tronc nerveux permettant de préjuger du résultat post-opératoire.
Références :
- Labat JJ, Robert R, Bensignor M, Buzelin JM (1990) Les névralgies du nerf pudendal (honteux interne). Considérations anatomo-cliniques et perspectives thérapeutiques. J Urol (Paris) 96:239-44
- Darnis B, Robert R, Labat JJ, Riant T, Gaudin C, Hamel A, Hamel O (2008) Perineal pain and inferior cluneal nerves: anatomy and surgery. Surg Radiol Anat 30:177-83.
- Labat JJ, Riant T, Robert R, Amarenco G, Lefaucheur JP, Rigaud J(2008) Diagnostic criteria for pudendal neuralgia by pudendal nerve entrapment (Nantes criteria). Neurourol Urodyn 27:306-10.
- Haylen BT, de Ridder D, Freeman RM, et al. An International Urogynecological Association (IUGA)/International Continence Society (ICS) joint report on the terminology for female pelvic floor dysfunction. Int Urogynecol J. 2010;21:5–26.
- Ploteau S, Perrouin-Verbe MA, Labat JJ, Riant T, Levesque A, Robert R. Anatomical Variants of the Pudendal Nerve Observed during a Transgluteal Surgical Approach in a Population of Patients with Pudendal Neuralgia. Pain Physician 2017 Jan-Feb;20(1):E137-E143
- Ploteau S, Salaud C, Hamel A, Robert R. (2017) Entrapment of the posterior femoral cutaneous nerve and its inferior cluneal branches: anatomical basis of surgery for inferior cluneal neuralgia. Surg Radiol Anat 39:859-863
- Labat JJ Riant T, Lassaux A, Rioult B, Rabischong B, Khalfallah M, Volteau C, Leroi AM, Ploteau S (2012) Adding corticosteroids to the pudendal nerve block for the pudendal neuralgia: a randomised, double-blind, control trial. BJOG 124: 251-260
- Robert R, Labat JJ, Bensignor M, Glemain P, Deschamps C, Raoul S, Hamel O (2005) Decompression and transposition of the pudendal nerve in pudendal neuralgia: a randomizedcontrolled trial and long-termevaluation. EurUrol 47:403-8.
Ce dossier a été coordonné par les Dr Amélie SENEAU-LEVESQUE et Dr François PIGOT pour La Revue et Convergences PP.