Un patient de 90 ans, autonome et en bon état général, est suivi pour une pathologie hémorroïdaire de grade II traitée par ligatures élastiques.
Il a des antécédents médicaux complexes, incluant des interventions cardiovasculaires (angioplastie et pontage), une cardiopathie hypertrophique, une valvulopathie, une hypercholestérolémie, un adénome surrénalien, une hypertrophie bénigne de la prostate et une cervicarthrose.
Son traitement habituel comprend du bisoprolol, du ramipril, de l’aspégic, de l’ezétimibe, du nicorandil, de la pravastatine, de l’oméprazole, du finastéride et du spagulax.
Récemment, il a été hospitalisé pour une pneumopathie bactérienne, compliquée par une constipation puis des diarrhées sous antibiotiques, et a développé une fissure anale traitée médicalement.
Trois semaines après sa sortie, il consulte pour une dégradation de son état avec des douleurs intenses lors des selles et à la marche, limitant son autonomie, et des fuites fécales quotidiennes. L’examen clinique révèle une ulcération importante au niveau du pôle postérieur anal, sans signes infectieux ou complications. Les berges de l’ulcération sont propres et régulières.
Diagnostic ? Prise en charge ?
Devant l’aspect clinique et l’histoire médicale du patient, nous avons en premier lieu suspecté une iatrogénie. L’évolution et l’interrogatoire ont permis d’éliminer une cause traumatique, notamment avec une canule de lavement. Les lourds antécédents cardiologiques du patient nous ont alors amenés à rechercher une cause médicamenteuse. À l’analyse des traitements du patient, un médicament a été fortement suspecté d’être à l’origine de la lésion : le nicorandil.
Le nicorandil (Ikorel®) est un anti-angoreux qui possède un double mécanisme d’action. Il agit comme vasodilatateur en libérant du NO, ce qui permet d’augmenter le flux sanguin vers le cœur et de réduire sa charge de travail. Il est également activateur des canaux potassiques, contribuant ainsi à la relaxation des vaisseaux et à une réduction de la résistance vasculaire.
Un effet secondaire rare mais grave de ce traitement est le développement d’ulcères atypiques :
- Topographie : muqueuse orale, tractus digestif, peau, périnée ou organes génitaux.
- Mécanisme : peu clair, mais probablement lié à une diminution locale du flux sanguin pouvant entraîner une nécrose et un ulcère. Les ulcérations peuvent apparaître plusieurs semaines, voire mois, après l’initiation du traitement ou après une modification posologique.
- Facteurs favorisants : dose-dépendant, patients âgés ou présentant des comorbidités comme le diabète.
- Prise en charge : il est souvent nécessaire d’arrêter le traitement par nicorandil. La guérison des ulcères peut nécessiter un traitement local et parfois une intervention.
Dans le cas de notre patient, un avis a été rapidement sollicité auprès de son cardiologue référent. Le nicorandil avait été introduit en relais du molsidomine (Corvasal®) deux ans auparavant, avec une majoration de la posologie du traitement dix mois avant. Avec l’accord du cardiologue, le nicorandil a été suspendu au profit de la molsidomine. Un traitement médical optimal de la fissure anale a été instauré, avec une adaptation des traitements antalgiques.
Avec ce traitement et l’arrêt du nicorandil, les symptômes cliniques du patient se sont rapidement améliorés. Il a été revu en consultation de contrôle à deux mois. Il ne présentait plus aucune douleur, avait retrouvé tout son dynamisme et n’avait plus aucune limitation dans ses activités quotidiennes. Cliniquement, l’ulcération avait complètement cicatrisé avec une ré-épithélialisation complète, à la fois sur le versant cutané et sur le versant muqueux. En revanche, le patient présentait une déformation anale en trou de serrure avec cette cicatrice postérieure, source de quelques fuites anales passives lors de ses promenades à pied.
Message à retenir
Devant des ulcérations inhabituelles et rebelles aux traitements usuels, il est essentiel d’envisager la iatrogénie comme cause possible. Il convient alors d’en discuter avec le prescripteur pour une éventuelle alternative thérapeutique.
Chez les patients cardiaques avec ulcération atypique, il faut penser au Nicorandil, même plusieurs mois après introduction/modification du traitement.
Bibliographie
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Mots-clés :
- Ulcération anale
- Ulcération iatrogène
- Nicorandil (Ikorel®)